samedi 24 octobre 2015

Atréides, Paul ou comment Muad’Dib reçut son nom.



Atréides, Paul ou comment Muad’Dib reçut son nom.
(Un conte à partir de l’Histoire Orale.)
     Lorsque Usul n’était encore qu’un garçon, il n’était plus heureux de rester dans le sietch avec son mère. Un jour, il alla vers elle pour prendre congé, et elle lui dit, « Usul, la saison pour ton test de la minha, n'est pas encore venu. Reste encore un peu avec moi ». Mais il lui dit : « Chaque heure ressemble à un jour. Je vais aller dans le désert, où le temps ne passe pas si lentement, et où je verrai des merveilles. » Il sortit du sietch et gagna le bled, et sillonna le désert du matin au soir, et dans tous les sens et son chemin le mena, là où il devait le mener.
     Un jour, comme le soleil se couchait, il vit un peu plus loin un château entièrement fait de sable. Les murs étaient en sable, les tours étaient en sable, même les portes étaient en sable. Mais Usul était fatigué de son voyage et il avait envie de se coucher, mais il pensa, « qui sait ce qui se passera si je pousse une de ces portes ? L'endroit peut s’écrouler sur moi ». Alors qu'il se préparait à dormir dehors, comme à son habitude, il vit qu’un côté d'une porte était ouvert, et il entra.

     L'intérieur du château ressemblait à une chambre, vide, avec une table de sable sur laquelle se trouvaient une cruche de liban et un bol avec des abricots. Usul mangea et but, et quand fut installé, il s’enveloppa dans son manteau et se coucha sur le sol pour dormir. Au milieu de la nuit, il y eut un grand coup de tonnerre, et un vent rugissant rempli la salle. Usul se leva, et le tonnerre devint une voix qui parla de tous les côtés. « Bienvenue, petit dessert. Sais-tu à quel endroit tu te trouves, et par qui tu es invité ? »
     « Non, dit Usul, mais je suis venu dans le bled pour voir des merveilles, et je suis prêt à payer pour cela. »
     « Donc tu es là, déclara le tonnerre. Ceci est Kalatorano, Château de sable, et c’est mon sietch, le sietch d’Alhen, Naib de tous les Djinns. »
     « Et je suis Usul, répondit Usul, et votre château m’appartient, car Dune est mon monde, et quand je serais prêt, tout le monde le connaîtra. » Usul ne savait pas qu’Alhen signifiait la mort, mais il parla avec courage, même s’il avait peur, car il savait qu'il était le fils d'un roi.
     Le vent hurlant ressemblait à un rire, alors et grand marid* apparut devant lui, remplissant la pièce. Comme le démon riait, ses dents avaient l’apparence de charbons ardents.
*Djinn des mers et des océans, on les trouve au large des sanctuaires.

     « Eh bien, dit le Marid, ces vantardises rempliront pas mon estomac vide. Tu as mangé mon
repas, et maintenant tu dois prendre sa place ». Usul se souvint alors de ce que sa mère avait coutume de dire quand quelqu'un la menacée, donc il répondit au démon dans ces termes : « j’ai une maîtrise ès arts de « havy Harakis Tumal minn-U » (Chaussures qui ne sont pas faites avec la peau d'un animal vivant) ». Sur ces mots le démon rugit de nouveau, et se mit à rire si fort que tout le château trembla. Quand il s’arrêta, il dit à Usul, « Tu es un petit garçon drôle, et je serai désolé de te manger, mais personne ne peut venir ici et repartir. Toi, comme tous les autres, tu dois payer le tribut de l'eau. Mais tu sembles si petit, je doute que tu sois plus qu’une bouchée pour moi. Tu seras mieux utiliser comme musette pour un de mes ânes ». Et sur ce, il saisit Usul par les cheveux et let jeta dans une fosse dans le centre du château.
     Usul s’assit au fond de la fosse et pensa que son désir de voir des merveilles avait été
satisfait d'une manière pas tout à fait à son goût. Comme il pensait à son propre foyer, il entendit une petite voix près de lui : « Ya Malte, aanina Årgab ». Il regarda dans l'obscurité et vit une petite souris avec sa tête faiblement penchée. Usul déclara à la souris, « pourquoi m’appelez-vous mawla ? Je ne suis le seigneur de personne. Et comment puis-je intercéder pour vous si, comme vous, je suis moi-même un captif ? » « Ya mawla », dit la souris, ma femme a donné naissance, et ma tribu va mourir de faim si je ne peux pas sortir de cette fosse, je suis tombé dedans. Je suis tout à eux, mais à côté de votre force, je ne suis rien. Vous pouvez me jeter hors de la fosse avec facilité ».
     « Je ferai ce que je peux », déclara Usul, et il souleva la souris dans sa main et la jeta haut au-dessus de la fosse. La souris baissa les yeux, salua de la tête, et dit, « Tija al-sadaqa (Le don sera de retour au donateur) ». La souris s’en alla, et Usul passa le reste de la nuit seul.
     Le matin venu, le Marid Alhen revint. Il tendit son bras dans la fosse et attrapa Usul par les cheveux, une fois de plus. La chaleur de son souffle roussit les sourcils d’Usul et le démon dit, « J’ai décidé à quel âne je vais te donner. » Et il jeta Usul au milieu du grand désert. Comme il gisait là à pleurer sur son sort et craignant l’instant suivant, une souris sauta à son oreille et lui parla. « Mon nom est Muxabbi ; me regarder et apprendre de moi, est mon cadeau de reconnaissance ». La souris commença à renifler le vent et regarda le sable tomber du sommet des dunes. Usul vit la souris commencer à creuser dans le sable vers le bas. Lorsque la souris trouva l'abri du vent, dans le terrier qui ne s’était pas effondré, elle se mit au fond du tunnel et se recroquevilla à l'intérieur avec le nez enfouit dans sa fourrure. Le vent se leva, et petites chutes de sable cachèrent la souris à la vue.

Le vent se leva encore plus, et le sable gratta les mains et le visage d’Usul. Tout à coup,
devant lui se dressait ce qui semblait être un tourbillon de vents sous la forme d'un homme, et la voix de celui-ci dit : « Je suis Azfar, le Djinn Jaune, et tu m’as été m'a donné pour mon petit déjeuner ». Le vent hurla et s’accrocha à son manteau, il le poussa ça et là, le sable piquait son corps. Puis Usul pensa à la souris. Sur le versant sous le vent d'une dune, il trouva l'abri du vent et rampa d'un endroit à l’autre, testant le sable, quand le vent tomba le sable dégringola sur lui. Il se souvint de ce que la souris lui avait enseigné, il creusa le sable et se fit un terrier. Il se couvrit de son manteau, se drapant dedans et mit sa tête dans ses genoux. Le vent hurlait, et sa force couvrit la bouche du terrier d'Usul, ainsi, les rafales tourbillonnèrent encore et encore, mais lui était à l’abri du vent.
     Tout blanc, Usul attendit que la tempête se calme. Puis il entendit à nouveau la voix d’Azfar. Le djinn dit, « Vous avez gagné, Usul. Je suis désolé que vous soyez prisonnier, mais je ne peux rien faire à ce sujet. Si vous vous libérez un jour, appelez-moi et je vous rendrez un service ». Mais lorsqu’Usul enleva son manteau pour parler, il ne se retrouva pas face à une dune, il était au milieu d’une grande caverne.
     Comme il était assis là émerveillé, une souris sauta sur ses genoux et lui parla : « Mon nom
est Rauhanin », dit la souris, « regarde-moi et apprends de moi, mon cadeau pour vous est la paix ». Puis la souris sauta sur le sol et s’accroupit comme si elle était en train de prier. Usul la regarda mais la souris ne bougea pas. Il étendit la main, la toucha, mais elle ne bougea pas. Il avança encore et la souleva, mais elle ne bougea toujours pas. Usul, pensant que la souris était morte, la mit sur le sol pour voir si elle se réveillait, il la secoua, et il entendit comme un grondement lointain.
     Les grondements s'amplifièrent, comme si quelqu'un marchait vers lui en tapant sur un grand tambour, et les sons faisaient  écho sur les murs de la grotte, jusqu'à ce que la tête d’Usul raisonne. Entre les battements de tambour, Usul entendit un bruit de crécelle, le claquement d’une voix disant : « je suis Ahmar, le Djinni rouge. Tu n'es pas un homme, Usul, ni même un très grand garçon, mais tu pourrais faire mon dîner. » Et les battements du tambour devinrent plus fort et plus fort jusqu'à ce que les roches se fissurent et brisent les murs de la grotte. Usul pensa qu'il ne pouvait en supporter d’avantage et tomba à genoux, se bouchant les oreilles et grinçant des dents.
     Alors qu’il pensait à la souris, et qu’il priait il regarda au plus profond de lui, à l’endroit où tout est calme. Du fond de son âme, il regarda et souffla, et comme il regardait, il entendit le tambour battre moins fort. Puis l'endroit devint silencieux et il pu se reposer en rendant grâce au ciel.
     Le temps seulement d’un battement d'aile d'oiseau, il sentit un poids sur son épaule et su qu’il s’agissait d’un galet qui lui était tombé dessus. Il entendit la voix d’Ahmar à nouveau, mais faible et lointaine. « Eh bien, Usul, vous êtes plus que ce que vous semblait être. Tant pis, si vous êtes un prisonnier, mais c'est hors de mon contrôle. Quand vous serez votre propre maître, appelez-moi et je vous rendrais un service". Usul ouvrit les yeux pour regarder le démon, mais il n’en vit aucun, ni même la grotte dans laquelle il avait été.
     Maintenant il ne voyait rien d'autre qu'un sol gris, qui s’étendait aussi loin qu'il pouvait voir autour de lui, avec un ciel gris sur l'ensemble. Il se leva et s'émerveilla, « est-ce que  la mort ressemble à cela? Alhen m’a-t-il mangé après tout ? » Mais il savait que ce n'était pas le cas, car il avait vu quelque chose de petit se déplacer au loin. C'était une souris, qui vint à lui, sauta sur sa chaussure et lui dit : « Mon nom est Basbasiyah ; regardez- moi et apprenez ». Puis la souris sauta sur le sol et se mit à agiter sa queue. Tout d'abord, elle sauta sur un pied, puis sur l'autre. Elle sauta en haut et en bas, elle tourna en rond, il se tint sur son nez. Elle gambada et se pavana et dansa. Usul fut d'abord surpris, puis amusé, puis si heureux des bouffonneries de la souris qu'il rit si fort qu'il dû s'asseoir. Lorsque la souris mit un terme à ses ébats, elle dit : « Mon cadeau pour vous est le rire ; utilisez-le bien ».  Puis elle détala, et Usul commença à sentir des gouttes d’eau tomber sur son visage.
     Tout autour de lui l’air était gris, il entendit des bruits de pleurs et des gémissements. Il sentit encore une autre goutte, au-dessus de lui il y avait un nuage sombre d’où sortit une voix triste qui dit : « Usul, je suis Abiad, la Djinni blanche. Bien que tu ne sois pas très doué, tu peux faire de petites choses pour améliorer la soirée. » Et dans le même temps Usul vit sa mère dans leur sietch, s’inquiétant pour lui, il vit sa jeune sœur sans aucun compagnon. Il l’entendit sangloter et vit son lit et le pot de dattes sur le plateau, et il avait le cœur lourd à chaque chose qu'il voyait, il sentit son cœur se briser en morceaux. Il se mit à gémir et à sangloter, comme il se lamentait, il se vit comme dans un rêve, petit et impuissant, loin de ses amis et de sa maison, perdu pour les siens à tout jamais. Se prenant la tête dans ses mains, il dit : « La mort n’est peut-être pas plus mal ».
     Comme il baissait les yeux, il vit à travers les tourbillons de poussière laissés par Basbasiyah, et un sourire fleurit sur ses lèvres. Il se souvint alors des sauts et des cabrioles de la souris, son sourire se mua en rire, et avant qu’il ne s’en rende compte la terre grise, qui était vivante de gaieté, fit écho à son rire, les gloussements et les ricanements devinrent des éclats de rire.
     Il se mit à rire si fort qu'il devait fermer ses yeux pour garder son eau (ses larmes), et il entendit la voix d’Abiad, la première qu’il avait entendu, qui disait : « Et bien Usul, nous nous voyions à nouveau. Les apparences peuvent être trompeuses et vous êtes un homme si malchanceux d’être captif. Si un jour vous êtes libre, appelez-moi et je n’oublierais pas que vous m’avez battu ».
     Usul ouvrit les yeux et se retrouva une fois de plus dans la fosse, mais c’était le soir et fatigué de ces enseignements ; il posa la tête et sombra dans le sommeil.
     Lorsqu’Usul se réveilla, il se retrouva dans la même position inconfortable du début et qui empira – il fut tiré de la fosse par les cheveux. Il se retrouva face à face avec le marid, pour la troisième fois.
     « Usul, dit le démon, mes ânes n’ont pas voulu de toi, si tu vaux plus que la musette à quoi tu ressemble, je verrais. Veux-tu accomplir une tâche pour te libérer ? »
     Usul répondit : « Dans la fosse ou dans le bled, je suis toujours libre dans mon for intérieur, là où personne ne peut me piétiner ». Usul ne demandait aucune faveur au grand démon.
     « Une jeune pousse, mais un dur, dit le démon. Voici ce que je t’offre. J’aime les portyguls d’un certain jardin dans les sables. Si tu m’en trouve – une bagatelle pour un lion tel que toi – je te libérerai. Mais sache que je t’ai jeté un sort : si tu n’effectue pas la tâche qui t’est demandée, tu te retrouveras dans la fosse et aucun bras ne t’en sortira comme tu l’as fait avec la souris. »
     « Je vais le faire, déclara Usul, mais seulement parce que moi aussi je pourrais avoir des portyguls ». Il ne laissa rien voir au démon de sa joie de savoir sa libération proche. Le démon le jeta donc, à nouveau, loin dans le désert.
     Et Usul partit alors,  chacun de ses os chantant la joie d'être son propre maître encore une fois, seule la pensée du sort que le Marid lui réservait gâchait un peu ce moment et la tâche qui l’attendait, il savait qu’elle ne serait pas facile. Pendant qu’il marchait, il pensa : « Dorénavant, j’appellerais ce jour mon Nahar al-awwal, parce que c’est le « premier jour » où j’ai vu des merveilles et vécu des aventures – en tout cas pour moi. » Malgré tout ce qu’il avait enduré, son esprit s’était élevé, il pensa à tout ce qu’il avait appris et à tous les ennemis qu’il avait vaincus. Ainsi, en pensant à tout cela, il traversa les sables, non pas comme un enfant fraîchement sortit de son sietch, mais comme quelqu’un qui savait comment traverser le désert.


     Lorsque son hajra se termina, comme tous les voyages, il vit au loin un jardin dans lequel un lutin et un djinn recueillaient la rosée des plantes avec une faux (car il avait marché toute la nuit et maintenant le soleil se levait).
     « Khala, gens de l’air, dit-il au djinn, j’ai traversé l’erg, je suis le messager du marid Alhen, il m’a envoyé chercher quelques portyguls. Montrez-moi l’arbre qui les porte ». Le djinn sourit à demi et l’amena au milieu du jardin, devant un arbre chargé de fruits. En premier, Usul mangea à sa faim et se rafraîchit, en pensant qu’il n’avait jamais goûté quelque chose d’aussi bon. Puis il en cueillit trois pour Alhen. Il se leva pour partir, se tourna vers le djinn et se vanta : « Des fruits aussi excellents que ceux-ci et aussi mal gardés ! N’importe quel paria pourrait s’en remplir le ventre. »
     Le djinn répondit : « Il est assez bien gardé. Et si le paria dont vous parlez ne regagne pas son foyer avant la nuit tombée, il deviendra comme nous. En effet, nous avons tous beaucoup mangé de ces portyguls, et comme vous le voyez, nous sommes encore ici. C’est pour cela que votre voyage est long ? »
     Usul ne dit rien de plus, il savait qu’il était allé trop loin et il cherchait un moyen de se sortir de ces nouveaux ennuis. Il était évident qu’il ne pouvait pas repartir comme il était venu, car s’il décidait de retourner vers la fosse d’Alhen lui fallait un jour et une nuit ou il pouvait ramasser la rosée avec une faux. Ainsi, s’il ne pouvait prendre la voie la plus sûre, al devait prendre la voie la plus droite et se fier à ce qui lui avait été favorable jusqu’à présent. Il regarda le soleil et mit le cap, rapidement et directement, sur le château d’Alhen.
     Sa course l’amena sur une paroi rocheuse déchiqueté, de laquelle il regarda la cuvette de sable, tout lui semblait bien : il vit Kaymus, le sable poussière, dans la cuvette, dans son plus bel appareil, qui n’était rien de plus que le bourdonnement d’une mouche. Il dévala la pente, volant comme le vent et pensant : « Je le ferais sûrement à temps », mais lorsqu’il arriva en bas, il ne sentit plus le sol sous ses pieds et ce qu’il semblait être un bassin de sable, était plutôt un gouffre remplit d’almeda, et dans cette poussière, il ne pouvait que s’enfoncer encore et encore, jusqu’à ce qu’il ne puisse plus respirer.
     Usul sentit la poussière arriver à ses genoux, il enleva son manteau et le jeta sur la poussière devant lui, mais cela ne fit pas grand-chose. Il s’enfonçait lentement, mais il s’enfonçait quand même, et la poussière atteignit ses hanches. Il regarda alentour en se débattant et en pataugeant, mais il ne vit rien à sa portée – aucun éperon rocheux, aucune plante, pas de sable ferme – Usul essaya de se sortir de là en utilisant son manteau étalé, mais la poussière l’aspira vers le bas, très vite il fut enlisé jusqu’aux bras.
     Il souleva la tête et cria : « Azfar, venez à moi », et le djinn jaune tourbillonna dans un nuage de poussière au-dessus de sa tête. « Je suis là, dit le démon, que veux-tu de moi ? »
     « Que tu me sorte de cette poussière », commanda Usul.
     « Je t’ai offert mes services lorsque tu étais captif, répondit le djinn, mais Alhen a lu en tois – Tu n’es pas libre. Mais je ferai ce que tu me demande contre l’un des portyguls, que tu porte.
     « Alors prenez-le », dit Usul. Le djinn dit à Usul de s’accrocher à son manteau, balaya la poussière dessous et remonta le manteau, il sortit Usul de la poussière, le posa sur le sable ferme, sur le bord le plus éloigné du bassin. Puis il prit sa récompênse et partit.
     Usul se mit à l’écartpour brosser la poussière de ses vêtements. Il vit une souris à proximité, il prit une grande inspiration et dit : « Eh bien, mon frère, vous avez vu, la Terre a essayé de m’engloutir, mais j’ai vaincu ». La souris secoua la tête et dit : « vous avez eu un djinn pour vous aider. Si un faucon saisit un scorpion, cela ne fait pas du scorpion un esclave, ni du faucon un allié. Puis la souris s’éloigna avec précipitation.
     « Malgré tout cela, pensa Usul, je suis encore en vie, et j’ai encore deux portyguls ». Il vit que le soleil n’était pas loin de son zenith et savait qu’il devait se hâter pour son rendez-vous, il se hâta donc en direction du château de sable.
     Comme il traversait une petite étendue de dunes, il vit devant lui une surface de sable plat, avec un éclat rose en son centre, la granulation indiquait qu’il s’agissait de sable ferme et pas de poussière. Il marcha droit sur le bassin de sel, le traversa en direction d’une arête rocheuse sur la face cachée. Arrivé au milieu, un son monta de ses pas « boom », il fit un autre pas « boom », « le sable tambour, pensa-t-il, cette cymbale attirera un ver ». Et en même temps que cette pensée, il entendit, derrière lui, un sifflement de vent, mais il n’y avait pas de vent. Avec les sables tambours, il savait qu’il avait un appui stable ; il évalua la distance qu’il avait jusqu’aux rochers. Puis il se dit « shai-hulud se déplace à travers le sable comme le faucon à travers les airs. Il me rattrapera sûrement avant que j’atteigne la sécurité. Et sans autre pensée, il se mit à pleurer.
     « Ahmar venez à moi », et immédiatement, le djinn rouge surgit devant lui, « Ahmar, dit Usul, partez dans le désert battre votre tambour. C’est le service que vous me devez. »
     « Mais Usul, dit le démon, vous êtes encore sous la domination d’Alhen ».
     « Je le suis », répondit Usul.
     « Alors vous ne pouvez rien me demander. Mais je ferais ce que vous voulez, en échange d’un portygul du jardin ». « Faites », dit Usul. Ahmar prit son fruit et, avec son tambour, fit autant de bruit que deux montagnes qui s’accouplent. Le démon partit dans le désert à la vitesse du vent, le ver sur ses traces.
     Usul poursuivit son chemin vers les rochers et s'assit pour reprendre son souffle. A proximité, il vit une souris grignotant sur un brin d’herbe d’un buisson, mais cette fois il n’avait pas l’intention de se vanter. « Mon frère », dit-il à la souris, "je suis encore en vie. Et j'ai un portygul. » La souris répondit : « Assurez-vous que lorsque vous traversez le désert, vous ayez toujours le tambour d’Ahmar prêt à répondre à votre appel et aucun vers ne vous gênera». « Cela, je ne peux le faire », déclara Usul, puis il commença à penser qu’un tel tambour était quelque chose que les fremen pouvaient utiliser pour accélérer son trajet. Mais il mit cette pensée de côté, il y repenserait dans un moment plus calme, car la journée était bien avancée et il avait encore un long chemin à parcourir.
     Pendant qu’il marchait, Usul pensait qu’il n’avait pas vaincu la Terre insensible, ni le ver avide, il n’en avait battu aucun, et quelle aide avait-il pu avoir. Cette pensée lui demanda beaucoup de temps, mais chaque instant passait plus lentement que le précédent, car Al-Lat était depuis longtemps haut dans le ciel et la soif d’Usul grandissait à chaque pas. Mais il ne prit pas de repos. Il avait encore un long chemin à parcourir et aucun désir de s’attarder dans le jardin d’un démon. Sa bouche était sèche et il pensait au portygul qu’il portait, à l’odeur de son écorce. Sa gorge était sèche et il pensait au fruit, à la douceur de sa pulpe. Même ses yeux étaient secs et ses paupières le griffaient lorsqu’il clignait des yeux et il pensait au fruit, l’humidité de son jus, « mais si je mange le portygul, pensa-t-il, je passerai quelques heures misérables dans la fosse d’Alhen avant de servir d’apéritif pour son dîner. Il ne trouva aucun moyen  de mettre fin à ses ennuis.
     Bientôt, Usul se retrouva à plat ventre sur le sable, trop faible pour se déplacer. Mais il pouvait encore entendre, et il entendit les voix de deux souris. « Est-ce Usul, le souverain de Dune ? Demanda l’une ; non, répondit l’autre, ce ne peut pas être lui. Usul se serait rappelé des mots courageux qu’il avait dit à Alhen, à quel point on doit toujours être son propre maître. En entendant ces mots, Usul sourit, même si ses lèvres étaient craquelées, et il pensa « Je ne suis pas encore mort », et il cria aussi fort qu’il put, « Abiad, venez à moi ! » En un clin d’œil, le djinn blanc éploré, fut à ses côtés.
     « Pleurez sur moi, dit Usul, que vos larmes puissent étancher ma soif ». « Usul, dit le djinn, je ne le ferai pas car tu es toujours sous le charme d’Alhen, tu n’es pas libre ».
     « Mais je suis libre, déclara Usul, ke suis libre, j’ai mon libre-arbitre, je peux m’exprimer ou m’incliner, je peux supporter ou me soumettre, et le plus puissant des naibs ne peut en dire autant. Si je devais mourir enchaîné, j’aurai toujours une liberté que personne ne pourra jamais me prendre ».
     « C’est peut-être vrai, dit Abiad, mais je juge comme tous les juges du monde. Je ne vois pas cet endroit calme en toi, et pour moi, ton aspect extérieur est celui d’un esclave. Mais néanmoins, je ferais ce que tu veux et en retour -  »
     « Silence ! Ordonna Usul, et bien que son visage fût boursoufflé, il avait prévu cette réponse et il savait ce qu’il fallait dire. « Je ne vous donnerai pas le portygul car j’ai l’intention de le manger moi-même. Et une fois qu’il m’aura rafraîchi, j’ai l’intention de traverser ces collines et de laisser Alhen derrière moi. » Usul se tenait sur ses pieds et parlait avec toute la force dont il était capable. « Pensez-vous que j’ai traversé ces sables, fait front au djinn, sauté hors de la poussière d’Almeda et faussé compagnie à shai-hulud, pour être le dessert d’Alhen ? Non, l’eau de ce portygul m’amènera à mon propre sietch, cette nuit même je serais assis devant mon foyer et avec ma tribu, on se moquera de l’imbécile de marid Alhen, naib de tous les djinns ! »
     A peine ces mots sortis de sa bouche, une grande fosse s’ouvrit au-dessus de lui, le bras d’Alhen descendit et le tira vers le haut. En un instant, il se tint devant le marid en colère qui cria, « ainsi, tu n’as pas pensé à m’amener le fruit en premier, mais le sort que je t’ai jeté t’a ramené – les dents souriantes et le cœur trompeur – tout de même. »
     « Croyez-vous aux mots ou à vos yeux ? Demanda Usul – Voici votre portygul, j’ai utilisé le moyen le plus rapide pour revenir ici. »
     Eh bien, devant cela, le marid sourit, il savait que, comme ses ânes, il avait été battu par Usul. Et il dit : « Je te rends ta liberté, Usul, et je te donnerai en plus tout ce que tu me demandera, même si c’est l’ensemble de la planète. » Usul dit non, « car j’ai appris que vous ne pouvez rien me donner que je n’ai déjà ou que je ne pourrais me procurer par moi-même. Le seul cadeau que j’accepterai sera celui de mon propre nom. »
     « Et quel nom voudra-tu, demanda le démo, le « nageur des sables », le « vainqueur de shai-hulud » ou le « pacificateur » ? »
     « Non, répondit Usul à nouveau, je vais prendre le nom de mes précepteurs dont l’enseignement m’a permis de traverser tous mes ennuis ; je veux être appelé « la souris ». »
     « Eh bien et bien, encore une fois, dit le marid Alhen, naib de tous les djinns, ce sera Muad’Dib. »

-          WEM, Contes populaires fremen d’Onn, d’Ibarhimal-yazizh. SAH 313

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