Atréides, Paul en tant que Kwisatz Haderach
Kwisatz Haderach signifie « le court
chemin », c’est l’étiquette que donna le Bene Gesserit à l’inconnu qu’il
avait cherché dans son programme génétique : le mâle Bene Gesserit dont
les pouvoirs mentaux combleraient l’espace et le temps. Ceci fut accompli par
Paul Muad’Dib Atréides. La saga reconstruite du Kwisatz Haderach s’avéra être
une révélation. Ce phénomène fut conçu par une culture qui détestait l’accident
et adorait la prophétie. Progressivement, il maîtrisa ses compétences – dans un
contexte limité – dans la psychologie des relations temporelles. Il devint
accro à la prescience. Pour invraisemblable que cela puisse paraître, son obsession l’entraîna à nier
l’incohérence. « La connaissance », que jamais personne n’avait eue,
l’amena à fermer ses sens à ce qu’il ignorait, elle mena le Kwisatz Haderach à
engager les espèces, notre espèce, dans une « certitude ».
L’arrogance de l’ignorance l’incita à choisir la catastrophe (mais pour de
nobles raisons). Après avoir été reconnu, et les conséquences premières
défaites par Leto II, le choix du Kwisatz Haderach montra qu’il avait généré
cette prise de conscience plus large des relations temporelles, qui est la base
de notre civilisation.
Pour comprendre l’épisode du Kwisatz
Haderach nous devons explorer son origine, sa carrière, ce qu’il comprenait et
ce qu’il était contextuellement incapable de comprendre. Les réalisations de
Paul Muad’Dib Atréides peuvent être expliquées par sa conception dépassée des
relations temporelles et son erreur peut être expliquée par la vision plus
limitée que celle qu’avait Leto II qui la corrigea pour nous.
La quête du Kwisatz Haderach fut le projet le plus long de l’Histoire
humaine. Le Bene Gesserit semble avoir été la plus ancienne organisation dont
le but était de créer un « humain » qui pourrait avoir la mémoire
ancestrale féminine et masculine. Tout au long des millénaires de l’histoire du
Bene Gesserit, le programme génétique des sœurs fut une quête de pouvoir.
Ensuite, elles commencèrent à rechercher l’humain parfait, celui qui aurait la
totalité des mémoires des ancêtres femmes et hommes, afin de pouvoir contrôler
les événements futurs et d’imposer la vision Bene Gesserit au destin de
l’humanité. Le Kwisatz Haderach qui fut longtemps un but recherché, pour
lui-même, devint un moyen d’arriver à une fin calculée.
Les dossiers Bene Gesserit ne sont pas
tout à fait clairs à propos de ce que l’Ordre voulait atteindre. Les hypothèses
semblent avoir été si fondamentales et ont évoluées de telle sorte que,
progressivement, elles ne furent jamais expliquées formellement. Mais avec les
événements historiques, les extrapolations et les souvenirs trouvés dans le
Magot de Rakis, nous avons pu reconstituer un raisonnement plausible. De
manière implicite, le Bene Gesserit en était venu à croire que la mémoire
parfaite pouvait assurer une prévisibilité totale. Parce que le Bene Gesserit
avait conservé la croyance en un seul créateur de l’univers, il croyait que
seul Cet Etre connaissait la conception temporelle des événements jusqu’à leur
« fin », il pensait que pour être en mesure de prédire l’avenir, il
fallait posséder les pouvoirs du créateur.
La connexion entre la mémoire et la
prédiction peut être esquissé tout aussi brièvement. Puisque nous reconnaissons
certaines lois de « cause à effet » pour être universelles et
invariables et puisque de telles lois pourraient être généralisées par
l’analyse de tous les événements qui les ont précédé (ou du moins un assez
grand nombre d’événements), un esprit dont la mémoire pourrait inclure
suffisamment d’événements et pourrait les soumettre à une analyse rigoureuse
pourrait extrapoler des prédictions précises. Les noms « Laplace et
Asimov », ainsi que des données à leur sujet, apparaissent assez souvent
dans les dossiers Bene Gesserit pour suggérer l’importance de leurs idées au
sein du programme Bene Gesserit. Laplace a affirmé que la connaissance complète
de la position et de la direction de tous les « atomes » seraient un
moteur d’analyse précis pour générer des prédictions précises. Asimov, à un
moment, fait un concept des événements futurs, par la manipulation consciente
des « lois » du comportement de masse, qui semble plausible. Nous
avons assez de témoignages de terrain de pronostiqueurs, appelés les « les
économétriciens », qui ont survécu pour suggérer que les gens censément
sophistiqués aient au moins une fois adoré la prédiction extrapolative. Le Bene
Gesserit, avec ses diseuses de vérités, était apparemment une version amoindrie
d’une telle extrapolation à partir de renseignements ambigus qu’il tirait de la
pratique de sa spécialité.
En bref, les gens ont agi une fois comme
si le passé contrôlait l’avenir en croyant – en même temps – qu’un avenir
pourrait être « conçut » pour contrôler le passé. Le Bene Gesserit a
absorbé cette contradiction et a cherché « un court chemin » qui
connaîtrait l’avenir et qui permettrait à l’ordre d’avoir un contrôle sur les
événements humains. L’étendue de leurs illusions devint claire seulement après
que le Kwisatz Haderach ait placé l’humanité dans une impasse mortelle.
Le programme génétique du Bene Gesserit
n’atteint pas son but. Jessica Harkonnen devait avoir une fille du Duc Leto
Atréides. Cette fille devait engendrer le Kwisatz Haderach en s’accouplant avec
Feyd-Rautha Harkonnen. Ce qui arriva réellement fut appelé une erreur, une
erreur de calcul, une coïncidence ou un « miracle ». Paul Atréides
fut la conséquence de la désobéissance de Jessica qui ne manipula pas ses
chromosomes ni le PH de son utérus. Les gènes du garçon portaient les
informations qui se rapprochaient le plus de ce que le Bene Gesserit
recherchait.
Paul fut éduqué secrètement dans la
« Manière » et avec les compétences Mentats. En d’autres termes, il
fut formé à extrapoler le comportement probable d’individus sur d’infimes
détails qu’ils révélaient. A courte distance et à petite échelle, il pouvait
interpréter les signaux complexes de l’embarras, de la confiance ou de la
duperie, et il pouvait deviner avec précision la différence entre des motifs
déclarés et réels. En outre, à cause de sa formation de mentat, il pouvait
calculer les probabilités impliquant de grandes quantités de variables
interdépendantes. A longue distance et à grande échelle, il pouvait quantifier
des facteurs flous, comme des idéologies, ainsi que des données, dites brutes,
comme les histoires démographiques, pour arriver à des conséquences probables
de choix affectant une seule décision. Dans l’hérédité comme dans son
environnement, Paul Atréides était bien un Kwisatz Haderach. Mais il n’y avait
aucune raison pour qu’il le soit. S’il était resté sur Caladan, par exemple, il
n’aurait probablement pas été confronté à l’épice qui déclencha la pleine
conscience de sa préscience latente.
La
carrière du Kwisatz Haderach commença dans l’obscurité. Il rêvait, nous dit-on,
il résista à l’épreuve Bene Gesserit du Gom Jabbar, prouvant qu’il était
capable d’exercer un contrôle volontaire sur les reflexes qui tentent d’éviter
la douleur. Il sembla satisfaire les prophéties de la Missionaria Protectiva
sur Arrakis. Il fut entouré par l’épice et commença à ressentir les vrilles de
la prescience, mais il nia être le Kwisatz Haderach. Après l’absorption de
l’Eau de Vie transformée par Jessica, il tourbillonna dans les ambiguïtés de la
prescience. Le sommet de ses capacités fut lorsqu’il risqua sa propre
annihilation en transformant lui-même l’eau de vie ; animus et anima
fusionnèrent et il devint à la fois le donneur et le preneur, il état en effet
« le court chemin », le réconciliateur des contraires.
Lorsque Paul combattit contre Feyd-Rautha, il n’avait pas de
vision ; lorsqu’il déclencha le jihad il devint accro à l’avenir. En
choisissant la sécurité pour les autres et l’isolement pour lui-même, il
choisit de mener l’Empire sur le chemin de la certitude. Aveugle mais ayant la
connaissance, il devint le Prêcheur et tenta de porter atteinte à la religion
que la prescience de Muad’Dib inspira. Son fils, Leto II, en entamant sa
transformation en ver, montra à Paul-le-Prêcheur que le choix qu’avait fait son
père aurait conduit la race à son extinction, et que le Combat Typhon et le
Sentier d’Or étaient des chemins préférables. Paul harangua une dernière fois
la foule au Temple d’Alia et fut poignardé par un prêtre.
Ainsi, sèchement décrite, l’histoire du Kwisatz Haderach est simplement
héroïque, une légende parmi beaucoup d’autres, maintenant relancée pour être
broyée dans les usines des érudits. Mais décrit comme un récit édifiant de
dépendance à la prescience, il semble avoir été crucial dans la façon dont
fonctionne notre civilisation actuelle. Paul fut aveuglé par sa dépendance en
choisissant un modèle pour l’espèce. Leto II arrêta et brisa cette voie unique qui menait à l’extinction.
Aujourd’hui, nous bénéficions de l’héritage de Leto, la surprise et
l’incertitude, bien que jusqu’à la découverte du Magot de Rakis nous ne savions
rien à propos de la dépendance et comment il sauva l’espèce de l’extinction. Il
est donc important d’essayer de comprendre la tâche que le Kwisatz Haderach
était censé être pour le Bene Gesserit. Nous devons comprendre à quoi avait
servit la dépendance à la prophétie.
La première reconnaissance du kwisatz haderach de sa relation
particulière avec l’avenir vint avec la conscience d’un « but
terrible » et des rêves qui – quand il cessait d’y penser – avaient une
« réalité » suffisante pour qu’ils se réalisent. Sa première vision
éveillée fut une probabilité mentat, alors qu’il était blotti dans la
tente-distille avec Jessica, il traita des données, évalua et calcula.
L’adolescent eut une image du temps : un globe avec des avenues
rayonnantes, une route ombragée avec des collines, une surface qui ressemblait
à une dune fouettée par les vents, des dunes ondulantes. Dans la terminologie
du calcul de l’infini il aperçut n-chemins d’un point dans une dimension. Il
mentionna le « terrain » et les « chemins » disponibles, la
probabilité, l’incertitude, le choix, de multiples chemins lui montraient de
multiples futurs, qui se ramifiaient devant lui. A ce stade, Paul savait que
seuls les faits existaient, les événements passés deviendraient plus tard des
faits connus de tous : il était le petit-fils du Baron Harkonnen ;
Jessica donnerait naissance à une fille. Tout ce que Paul avait de prescience
était alors un aperçu de la trame du temps, des extrapolations à partir des
événements passés et la vision de deux chemins possibles à venir (l’un d’eux
mêlant les gènes à une guerre sainte). Les gènes, les compétences, la formation
et l’omniprésence de l’épice convergèrent pour donner à Paul Muad’Dib la vision
onirique d’une carte en relief qu’il pouvait parcourir des yeux.
Cette
représentation spatiale se transforma en technique presciente dans la
complexité des concepts de mémoire. Après avoir guidé l’ornithoptère dans une
tempête de sable pour s’évader, à l’atterrissage il reconnu le paysage de
désert comme dans la vision qu’il avait eu sur Caladan. Mais l’image réelle
était subtilement différente de celle de sa vision : l’originale avait été
absorbée par la mémoire, puis modifiée dans la mémoire par des expériences qui
étaient arrivées entretemps ; ce qu’il avait vu dans le présent se
trouvait devant lui comme s’il voyait à partir « d’un angle
différent ». Quand lui et Jessica rencontrèrent Stilgar pour la première
fois, Paul ne sut pas ce qui allait se passer : sa présence dans le
paysage du « maintenant » avait changé la mémoire du « une
fois-vu » de la trame de l’avenir. Une telle modification de l’ex-vision
en étant un participant du fait présent était une source de la fiabilité du
proto-kwisatz haderach. Il y avait aussi une autre difficulté : la
tentative de voir l’avenir affectait l’avenir. Ce problème fut particulièrement
important quand Paul essaya de se voir dans l’avenir : non seulement cette
vision était dépendante du choix qu’il n’avait pas encore fait, mais aussi, ses
choix dépendaient de ce qu’il avait vu le long des différents chemins vers son avenir. Le cycle de retour
d’information, avec la décision qui changeait la décision, était un tourbillon,
un piège.
Paul découvrit un moyen de contourner le piège. Au lieu d’essayer de
regarder vers l’avant pour voir l’avenir, le visionnaire s’imagina être dans
l’avenir et il regardait derrière lui. Après avoir absorbé l’eau de vie
transformée par Jessica, il vit que « le véritable test de prescience
était de voir le passé dans l’avenir ». Se tenir au moment 10 et regarder
en avant au temps 50, s’il pouvait être au moment 10 et envisager le moment 50
et du temps 5 regarder en arrière le temps 40, alors il aurait réussit à
assurer sa vision – « par-dessus son épaule », « la vision dans
la vision » - l’observation du passé dans l’avenir était précise.
Cette procédure eu l’air raisonnable, mais la découverte survint dans le
cadre d’une vision presciente. En conséquence, cette découverte devait être
traitée avec scepticisme. Pourtant, l’implication du chemin déterminé, la
déduction logique de ce qu’il avait vu pour être arrivé doit être arrivée et
arrivera donc, semble avoir été le choix obligatoire de Paul d’un cours
inévitable quand il devint l’Empereur. Il est important de noter ici, tout ce
que la prescience avait de séduisant : Paul pouvait extrapoler à partir
d’un fait existant, il pouvait regarder en avant, il a vraiment avancé pour regarder
derrière lui ; à chaque étape, il voulait plus de précision quant à
l’avenir. Il explique son succès croissant par l’intermédiaire de la logique
fournie par la conception de sa domestication du temps. Il est également
important de noter que les découvertes en pleine expansion sont survenues après
l’administration de plus en plus grande d’épice. Il avait besoin de
déclenchement de plus en plus fort alors qu’il se déplaçait de plus en plus
grâce à des techniques prophétiques.
La prescience de Paul Muad’Dib ne fut pas volontaire. Il ne pouvait pas
voir l’avenir par sa seule volonté. La drogue lui était nécessaire. Etait-il dépendant de la drogue
ou de ses visions, cette question reste insoluble. Le mélange provoquait une
dépendance, dans le sens que, lorsqu’on cessait d’en ingérer, on raccourcissait
sa vie. Mais le besoin de Paul semble avoir été de prendre des doses toujours
plus importantes, ce qui suggère qu’il était devenu dépendant du savoir autant
que de l’avenir. Il fut frustré part la menace de Gurney Halleck qui attentat à
la vie de Jessica, il n’avait pas vu cette ligne d’avenir, ce moment de péril.
Il décida alors de noyer un faiseur. Son organisme était devenu tolérant à
l’épice, ses visions étaient de moins en moins nombreuses et claires, mais il
avait plus que jamais besoin de voir l’avenir. Il devait savoir s’il pouvait
survivre à l’épreuve finale du Kwisatz haderach. Paul survécut. Il croyait
enfin qu’il était le kwisatz haderach, celui que le Bene Gesserit avait
cherché. Jessica le croyait aussi. Il rapporta qu’il avait vu de nombreux
endroit, qu’il était aussi bien le donneur que le preneur et qu’il avait vu le
maintenant, pas l’avenir.
En voyant le maintenant, les limites du
présent se sont étendues dans l’avenir et dans le passé, c’était le point
culminant des visions. Dan un premier temps, avec l’introduction de l’épice
dans son alimentation, il connaissait le
passé et vit un avenir qui différait des attente du peuple : Après avoir
bu l’eau de vie, il entrevit l’histoire dans l’avenir. Lorsqu’il transforma
lui-même l’eau de vie, Paul s’équilibra et assura le Maintenant, avec un
paradoxe de cause à effet suspendu. Le passé créa le présent (ce qui implique
que la volonté et le choix ont un certain effet sur ce qui est arrivé et qui va
se passer), et l’avenir créa le présent (ce qui implique que ce qui se passe
est prédéterminé et n’arrive seulement qu’à cause de ce qui est destiné à
aboutir). Ces plans qui s’excluent mutuellement dans le temps, ont coexisté en
Paul Muad’Dib Atréides, le Lisan al-gaib et kwisatz haderach.
Cet équilibre sur le fil du couteau, sur
la corde raide, au bord du gouffre, au point d’appui, est ce qui fait de Pau le
donneur et le preneur, l’animus et l’anima, le yin et le yang, le mâle et la
femelle, le décideur et le décidé, le réconciliateur des contraires. Autant que
nous pouvons le dire, il était presque ce que le Bene Gesserit
recherchait : le héros, la figure, dont le choix déciderait du destin de
l’univers. Après la transformation de l’eau de vie, le kwisatz haderach entra
dans une transe et durant ces trois semaines, Jessica l’observa, puis envoya
chercher Chani, il alla dans de nombreux endroits. Il devint le « court
chemin », pour être partout en même temps. Il réussit à ne pas se perdre dans
la dimension de l’Alam al-mithal. Comme un danseur tournoyant, il évita le
vertige ultime en se concentrant sur un endroit fixe, lui-même. En allant plus
loin que son point central et risquer de se perdre, Paul prit peut être le
risque ultime. Mais il revint avec ce qui était, pour la civilisation adorant
la prophétie, le prix suprême : la connaissance complète – basée sur son
passé et son avenir – le Maintenant.
Un malentendu courant sur le kwisatz
haderach – au moins sur Paul – est dissipé
par cette description figurative de son équilibre périlleux. Il n’a
jamais été infaillible, comment aurait-il pu l’être. Ses premières visions (le
paysage de Dune et Chani) étaient proches de la réalité, mais confuses. Il
n’avait pas prévu la taille du faiseur qu’il monta ; il n’avait pas que
Gurney menacerait Jessica. Ses prémonitions plus larges, plus massives, étaient
assez précises : le but terrible, l’avalanche du jihad. Mais il ne savait
pas précisément ce qui allait lui arriver. Comme on l’a noté, il ne pouvait
voir les décisions qu’il prendrait sans affecter es événements ; essayer
de les entrevoir enfermait Paul dans une boucle de rétroactions sans fin.
L’exemple extrême de ce non-savoir est son combat avec Feyd-Rautha. Sa décision
de na pas utiliser le mot qui lui donnerait l’avantage, plus le fait de rejeter
l’aiguille de Feyd-Rautha dans la mosaïque, étaient dans le même temps,
imprévisibles et décisifs. La relation entre l’exactitude apparente de la
vision du kwisatz haderach, particulièrement juste avant qu’il n’aille marcher
aveuglément dans le désert et le caractère incomplet de sa prescience, est
importante. Cette divergence est au cœur des bons mais mauvais choix que Paul
fit après la fin de son jihad fremen et lorsque son Empire commença à se
stabiliser.
Comme
Muad’dib consolida son emprise après le jihad fremen, il perçut un
dilemme : s’il avait utilisé sa prescience pour contrôler le destin de
l’Empire, l’Empire aurait dépendu entièrement de lui. Son infaillibilité
supposée aurait privée le peuple de son besoin de faire des choix. Pour lui,
garder le contrôle et la responsabilité n’auraient pas été bon pour l’humanité.
De plus, il ne pouvait pas, en tant qu’être humain responsable, continuer
nonchalamment avec un tel fardeau. Bien qu’il ait voulu désespérément se
« désengager », cet abandon aurait laissé un vide et aurait engendré
une autre lutte chaotique pour le pouvoir.
La façon dont le kwisatz haderach choisit
de sortir de ce dilemme était aussi noble que faux.il prit le chemin qui
serait, aussi loin qu’il pouvait prévoir, le meilleur chemin pour l’humanité.
Il décida de mettre fin au cycle des guerres et de laisser l’humanité dans la
paix. Il supprimait Muad’Dib de la scène et donnait l’illusion au peuple d’un
libre-arbitre. Alia, les prêtres et les bureaucrates croyaient qu’ils
dirigeaient les choses. En choisissant cette voie, Paul dû accepter la perte de
Chani qui représentait tout pour lui, sauf sa responsabilité morale. Avec ce
choix, il rejetait l’alternative qu’il avait vue : Krazilec, le
combat Typhon, le chaos. Etant donné la
connaissance claire des résultats que le kwisatz haderach croyait avoir obtenu
grâce à sa prescience, aurait-il le même choix ?
L’erreur de Muad’Dib est assez facile à
voir – après les fait. Sa dépendance l’avait forcé à dépendre de la prescience.
Son saut dans l’Alam al-mythal lui avait apporté la capacité de se voir le long
des itinéraires alternatifs à venir ; il avait transcendé la boucle
infinie de la prescience affectant-désaffectant la pré-science. Alors qu’il
avait battu l’incertitude dans la soumission, il crut qu’il pourrait choisit un
itinéraire pour lui-même, qui, il le savait, fonctionnerait comme il
l’entendait. Ce qu’il ne pouvait pas savoir, était la conséquence d’apporter une certitude absolue aux affaires
humaines.
Donc, comme kwisatz haderach, il apporta à
l’Empire ce que le Bene Gesserit pensait vouloir, un contrôle complet sur la
destinée humaine. Ce que ni eux, ni lui, ne pouvaient savoir, en dépit de la
prescience parfaite, était que le contrôle complet et la certitude absolue
signifiaient l’extinction de l’espèce humaine. Même la prescience du kwisatz
haderach ne pouait prévoir ceci : comme il rétrécit le chemin de l’avenir
de l’humanité, et que l’humanité était liée à cette certitude, sa prescience
coupa l’univers de ses plus grandes alternatives. Muad’Dib pensa qu’il avait vu
plus et mieux ; il avait vraiment vu moins dans un plus grand nombre de
détails (ce qui était plus convainquant).
Avec le recul, nous pouvons voir de façon
frappante les points de son erreur. Quand il essayait de synchroniser la
réalité et sa vision, alors qu’il attendait dans la maison d’Otheym, il fut
frappé par les radiations du brûle-pierres qui l’aveugla, il se sentit, un
instant, comme prisonnier dans une cage. Il sentit qu’il y avait d’autres
oracles qui voyaient d’autres avenirs et il fut frustré car les événements ne
se déroulaient pas comme il l’avait prévu. Mais il semble avoir fait passer ces
aberrations comme le produit des conspirateurs du Tarot, pas comme une faille
de sa propre vision. Plus tard, après que Muad’Dib ait à plusieurs reprises
démontré la « perfection » en sachant où marcher et où placer sa main
pour signer des documents, il fut étonné de découvrir que Chani portait des
jumeaux. Les jumeaux n’avaient pas du tout été dans sa vision.
Muad’Dib renonça à Chani et au pouvoir,
afin de laisser son peuple libre. Il choisit le chemin qu’il croyait qu’il
assurerait la paix, la sécurité et la certitude pour l’espèce. Mais dans le
choix de cette voie étroite et unique, qu’il pouvait voir de façon éclatante,
le kwisatz haderach bloquait toutes les autres options retirait même sa vision
périphérique. Parce que ce rétrécissement apportait un flot de détails et parce
que l’accent était mis sur un corridor de temps qui troublait l’existence
d’autres couloirs, il devint incapable – en dépit du fantastique pouvoir qu’il
possédait – de voir un contexte plus large de brins d’infini temporaires. Il
pensait qu’il avait tressé ces brins ensemble, mais il les avait juste réduit,
juste éloigné.
Les dernières années du kwisatz haderach
passèrent à jouer le jeu que son choix avait conçu. Il regarda Alia se
soumettre à la voix intérieure du Baron Harkonnen, à regarder la qizarate et
l’Empire resserrer leurs tentacules sur leurs sujets, les réduisant juste à
leur propre survie. Il avait cherché la paix ; il avait essayé de
« fermer le cycle des guerres ». C’est seulement plus tard que Leto
II, au contraire, perçut que pour exercer le contrôle constant, il devait au
fil du temps succomber à la Grande Tentation, pour Tout Connaître, Tout en
sachant Posséder Tous les Pouvoirs ; Leto voulu dévier la civilisation du
chemin erroné de son père. Il usurpa l’avenir que le kwisatz haderach avait
choisi et s’efforça de rétablir
l’Accident comme la pierre angulaire du Temps Universel.
Nous ne comprenons pas comment, au juste,
le kwisatz haderach fut « exploité ». Le Bene Tleilax n’a laissé
aucun indice de ses expériences, par exemple. Ils peuvent avoir arrêté leur
projet parce que leur prototype avait échoué à leur test « humain »,
ou parce qu’il leur avait désobéi, ou parce qu’il n’avait aucune mémoire
héréditaire. La nature des mémoires ancestrales n’était pas entièrement claire.
Le Bene Gesserit considérait qu’elles étaient essentielles, mais Paul ne les
possédait pas. Alia les avaient, mais elle n’était pas un kwisatz haderach.
Leto II avait mis sa mémoire ancestrale sous contrôle, mais ses voix
intérieures lui avaient ordonné d’éviter l’abîme de dépendance de la prescience
et le chemin du kwisatzttisme. L’épisode entier du kwisatz haderach est jonché,
comme une épouse, d’inversions, d’attentes et de résultats.
Les écoles du vieil Imperium sont toujours
pleines de discussions sur cette question. De toute évidence nous ne pouvons
pas passer au crible toutes ces questions qui concernaient le prescient, ce qui
nous oblige nécessairement à faire une chose (ce qui signifie
« nécessairement une simple contrainte ») ; ou si le libre choix
nous était accordé ou pas de faire ce choix, même si le résultat était connu
d’avance ; ou si la prescience ne comptait pas du tout, sauf par une
nécessité conditionnelle. Nous ne sommes tout à fait certains que d’une
chose : ni nous, ni nos descendants ne pouvons éprouver la prescience du
kwisatz haderach. Notre culture a instinctivement peur des tentations qui
mènent à l’addiction à la prescience. La matrice exacte des variables
génétiques et le conditionnement de l’environnement qui ont produit Paul, ne
pourraient pas arriver à nouveau par accident. Pour reproduire ces conditions,
nous pouvons mieux faire qu’essayer, nous savons. Par conséquent, nous nous
engageons sans hésitation à comprendre comment le kwisatz haderach fut
effectivement exploité. Parce qu’il est utile, autant que possible, de tout
savoir, même les interdits, et parce qu’il y a des concepts qui peuvent nous
aider à comprendre ce que le kwisatz haderach avait fait, nous nous risquons à
expliquer ce qui arriva lorsque la kwisatz haderach contrôla l’avenir. Deux concepts
proviennent de secteurs différents, l’un dans le domaine de la physique
antique, maintenant un sous ensemble de la systémie, l’autre émane d’un segment
rudimentaire du calcul d’infini.
La physique relativiste suggère comment un
kwisatz haderach pourrait « raccourcir le chemin » et acquérir les
connaissances de l’avenir. Le temps, comme nous le savons, n’a pas de point de
référence. N’importe quel endroit qui observe des événements qui se
reproduisent peut découvrir et mesurer « le temps » - l’heure locale
– en termes de modèle de répétition d’événement. Le mouvement orbital, le
changement du foncé au clair, la végétation qui suit son rythme par les fleurs
puis les fruits et les graines, sont des exemples familiers de motifs
répétitif. Des informations fiables sur ces répétitions, et donc sur le temps,
viennent de la lumière, dont la vitesse est constante. Si l’on pouvait se
déplacer à la vitesse de la lumière, on pourrait rassembler toutes ces
informations à propos de toutes les références, à l’heure locale. Cette
collection comprendrait des informations sur ce qui aurait été l’avenir de
toutes ces heures locales. Plaçons-nous à partir du point de vue du voyage à la
vitesse de la lumière. Paul Muad’Dib Atréides pouvait apparemment être dans de
« nombreux endroits à la fois », il était en mesure de parvenir à
cette fusion mystico-magique à la vitesse de la lumière. Ainsi, il effectua le
nec plus ultra, « le raccourcissement du chemin », dans tous les
cadres de l’heure locale. Ses rapports avec l’alam al-mythal, où toutes les
limites physiques sont supprimées,
semble soutenir cette hypothèse. Dans ses transes les plus profondes,
Paul se sentait disloqué, déraciné. Il ne sentit aucune position, aucun lieu,
ni aucune orientation, permanents. Une sorte de fusion avec l’Absolu était
implicite, et donc une déconnection complémentaire avec les autres. Paul dût
lutter contre l’alam al-mythal pour trouver son chemin de retour, à un endroit
où il pouvait se référer à d’autres chemins, car les connexions avec les autres
étaient nécessaires s’il voulait être lui.
La physique relativiste offre un indice de
ce que le kwisatz haderach fit, même si elle ne suffit pas à expliquer comment
il accomplit son saut mystico-magique dans l’abîme de l’Absolu. L’étendue de
notre ignorance sur le processus est soulignée par le déclin de cette physique.
Même Harq al-Ada émis des réserves : « Soit nous abandonnons la
théorie de la relativité longuement utilisée, soit nous cessons de croire que
nous pouvons nous engager dans la prédiction continue et précise de
l’avenir ». Le kwisatz haderach semble avoir entrevu, et temporairement
gelé un chemin relativiste dans l’avenir. Ce qu’il ne pouvait pas savoir
lorsqu’il fit ce vaillant effort, était que les deux chemins qu’il avait vu,
n’étaient pas les seuls possibles, mais il le su à terme. Il ne pouvait pas
savoir que lui-même et notre espèce se limiteraient à l’un d’entre eux, qu’il
nous fermerait toutes les autres options.
Le deuxième sous-ensemble de la physique
ancienne, est lié à « l’incertitude », et ne permet pas la
connaissance précise de l’Absolu que le kwisatz haderach semblait avoir cru
qu’il rencontrerait. Pourtant, les concepts de l’incertitude physique, appliqués
plutôt vaguement, ne nous aident pas à comprendre la difficulté du jeune Paul
en se voyant dans ses visions de l’avenir. Le fait est connu qu’l est
impossible de connaître à la fois la position et la vitesse d’une particule
subatomique. Plus on en connaît sur une condition, moins on en sait sur
l’autre. Lorsque Paul tenta de voir sa propre position, dans le paysage mouvant
de sa prescience, les déviations de l’énergie laissée par son effort pour
recueillir les informations, l’empêchèrent d’avoir une image fixe d’une
situation future. L’univers resta le contingent ; il pouvait voir
l’environnement, mais parce qu’il savait ce qui allait advenir, son choix
pouvait lui-même modifier ce résultat, il ne pouvait donc pas savoir. Comme l’a
enseignée la systèmie, Paul ne pouvait pas se rendre compte, il y avait une
analogie entre l’information physique et l’incertitude au niveau du quantum.
Le paradigme de l’incertitude nous aide
aussi à comprendre ce qui arriva à Paul lorsqu’il mûri et qu’il devint accro à
la prescience. Dans notre univers aléatoire, tout peut arriver. En fait, comme
le calcul de l’Infini le montre, tout peut arriver. Il était peu probable que
Paul soit en mesure de se voir dans l’avenir, mais il le fit. Il était encore
moins possible qu’il puisse « raccourcir le chemin », selon la
physique relativiste, mais il le fit. Il était impossible pour lui de rétrécir
les différents avenirs à seulement deux (et encore moins de penser aux options
dans le concept d’un avenir futur), mais le kwisatz haderach le fit aussi. Il
alla même plus loin : il rejeta l’une des alternatives qu’il vit et
détermina l’autre. Un tel rétrécissement des possibilités à une certitude est
incroyablement peu probable, mais la nature de l’Univers Accidentel exige que
la certitude soit une possibilité.
Enfin, le calcul de
l’infini nous aide à saisir rapidement l’ampleur de l’audace du kwisatz
haderach et l’essence de son erreur. L’idée familière de matrices temporelles
contient n agrégats de n points à n
dimensions. A chaque instant, il est possible de modifier la matrice de n
façons. Toutes les possibilités se produisent ; une nouvelle matrice
temporelle se développe instantanément. Encore une fois, toutes les
possibilités arrivent. Le kwisatz haderach possédait une autre notion, très
limité. Il fut conditionné par les concepts de cause à effet et
l’inévitabilité. Dans cette conception, sa prescience vit un ordre de
possibilités, imaginant que les branches en deux (ou peut-être trois)
dimensions. La séquence d’embranchement incluait plusieurs chemins hautement
probables. Le Kwisatz Haderach rétrécit son centre prescient à deux
alternatives, en réalité, il choisit celui qui lui apparaissait
préférable ! En désirant la restriction de probabilités, il se coupait de
l’ensemble de la matrice temporelle. Sa conviction qu’il y aurait un avenir
était assez puissant pour resserrer la matrice ; pour lui, nier l’accident
était suffisant pour s’assurer qu’il n’y aurait pas d’accident. Cette
restriction improbable était un des ordres possible dans l’Univers Accidentel,
ce que le kwisatz haderach ne pouvait pas avoir su (ayant limité sa prescience
en rétrécissant et en aiguisant son foyer) était que la branche choisie
conduisait à une impasse. Le Kwisatz haderach ne savait pas calculer l’infini,
s’il avait su, il n’aurait pas essayé de le nier. S’il n’avait pas essayé de le
nier, nous ne l’aurions jamais appris.
Comme Kwisatz Haderach, Paul Muad’Dib
Atréides fit des choix. Ils se révélèrent être parfois de mauvais choix, mais
ils étaient néanmoins de bons choix. Combiner bons et mauvais choix, n’était
pas vraiment paradoxal. Ses choix étaient bons parce qu’ils étaient librement
fait, sur la base d’une meilleur compréhension sur ce qui se passerait et sur
les conséquences de son choix. Ils étaient moraux. Mais il s’avéra que,
rétrospectivement, il ait eu tort. Avec le recul, nous pouvons dire que, comme
Leto l’a dit, nous sommes les héritiers de la tradition de Leto, nous sommes
enfermés dans cet héritage. Paul a bien choisit, mais Paul a eu tort. La
logique déductive appuie ces questions : comment Paul pouvait-il avoir eu
tort ? Il « avait vu l’avenir comme Maintenant ». Ne savait-il
pas tout ce qu’il fallait savoir ?
Les réponses à ces questions sont liées au
contexte. Oui, il savait tout ce qu’il y avait à savoir, mais il y avait
quelques questions qui restaient sans
réponse, malgré tous ses efforts. Il fit un pas au-delà de la limite du
« maintenant » des mortels, à travers une porte et dans un couloir
qu’il savait être « l’avenir » (même si c’était en fait
« un » avenir), car c’était le seul avenir qu’il pouvait voir. Il
pouvait regarder en avant et en arrière et soutenir toutes les positions le
long du couloir unique. Il s’engagea et l’Empire avec lui, dans ce couloir, ce
chemin unique, à partir duquel ce seul point était engagé dans cette dimension
unique. Il fut piégé sur ce chemin. Malgré sa vision transcendante, il ne
pouvait pas voir à l’extérieur de sa cage. Il y avait d’autres couloirs, en
parallèle et divergents de celui qu’il connaissait. Bien qu’il puisse sentir
les autres oracles et tous les autres avenirs, alors qu’il avait choisi de lier
son univers, son choix d’une certitude l’avait rendu aveugle aux autres
éventualités. C’est parce qu’il avait vu tant de choses qu’il ne pouvait
réaliser à quel point il était aveugle.
Donc, le paradoxe disparut. Paul choisit.
C’était bien. Il choisit un seul couloir, estimant qu’il était le seul
couloir qui menait où il voulait mener
l’humanité. Cela était faux. Il ne savait pas et ne pouvait pas savoir, qu’il
avait tort quant à son choix. Maintenant, grâce à son audace, nous possédons la
sagesse de Leto II, le calcul de l’infini, et un dégoût pour la prophétie. Sans
son erreur, nous n’aurions pas pu les avoir ou être là pour apprécier notre
bonne fortune.
La carrière du Kwisatz Haderach fut une
histoire douce-amère. Le Bene Gesserit l’avait cherché pendant des générations.
Il réconcilia les contraires fondamentaux. Il alla dans de nombreux lieux en
même temps, « raccourcit le chemin » et contrôla l’avenir. Mais il
devint dépendant de la prescience ; son libre choix empêcha la liberté de
choix ; la connaissance du « maintenant » avait presque éliminé
l’avenir de l’humanité. En tant que survivants, nous pouvons être heureux que
le Kwisatz Haderach ait expérimenté la prescience, et éternellement
reconnaissants que ses expériences aient été des échecs. Notre reconstruction
de l’histoire de Paul est un récit édifiant. Sa conséquence immédiate, à
l’époque de Leto II et par la suite, fut un dégoût de la prescience. Longtemps
cachée et maintenant révélée, l’histoire nous aide à défier l’imprévisibilité.
EJ
Autres références :
-
Atréides, Leto II ;
-
Atréides, Paul ;
-
Idaho, Duncan.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire