lundi 31 août 2015

Al-harba, l'énigme



Al-Harba (L’énigme)
     Si Harq al-Harba,  l’auteur, n’avait pas eu un tel talent de réalisation dans L'art dramatique, si ce que nous savons de la biographie de Harq al-Harba le vendeur de minifilm n’avait pas été si pauvre, et si ce que nous savons ne semblait pas en contradiction avec les qualités que nous associons à ce génie, il n’y aurait probablement jamais eu d’énigme al-Harba. D'autres personnes plus humbles ont contribué  à son succès, et on en sait même moins sur certains de ces grands Atreides que sur le dramaturge Yorban. Mais l'interaction de ces trois facteurs était certaine, tôt ou tard, de provoquer des questions chez certains. Comment se demandèrent-ils le poète et le vendeur pouvaient-ils être le même homme ?
     Ce ne fut qu’en 10630, plus de trois cents ans après la mort d'al-Harba, qu’on contesta sa paternité pour ses pièces de théatre. La controverse commença avec Avelarad Svif-Josif, un noble mineur de la  Maison Rembo, qui exprima des doutes qu'un vendeur pu posséder la capacité d'écrire des pièces. Cette réserve fut exposée en détail par Kurt Zhuurazh, qui affirma, dans son Al-Ada et al-Harba (10635) que Harq al-Ada (Farad'n Corrino) était le véritable auteur des pièces de théâtre. Les admirateurs du scribe royal lui attribuèrent diverses autres œuvres des Atréides et les  plus fervents défenseurs de cette théorie attribuèrent (en dehors des pièces d’al-Harba) le livre de Pander Oulson, Sainte Alia : Chasseresse d’un milliard de monde, Le ghola parle et La chronique de Hayt tous deux de Duncan Idaho, et toutes les œuvres de la Princesse Irulan ; à ce total considérable,  Cybèle Harik (Le prince / Le dramaturge) ajoute la traduction autorisée de la Bible Catholique Orange et même Les Chroniques de Stilgar en Fremen.
     Trente ans passèrent (10666) avant qu’un autre concurrent soit proposé: JT Duub désigna le Comte Hasimir Fenring dans Une demi-douzaine d’Harbas. Le problème principal de Duub était la mort de Fenring en 10225 soit vingt et un ans avant la naissance d’Harq al-Harba mais, comme nous le verrons, cela ne fut pas un obstacle insurmontable pour les partisans de Fenring.
     Un troisième groupe puissant entra sur le terrain en 10710, quand AJ Kiilwan déclara (en L'homme qui était al-Harba) que les pièces avaient été écrites par l'empereur Leto II.

Arguments courants
     Toutes ces écoles de pensée partagent  certains arguments dénigrant l'auteur réputé, Harq al-Harba. Ces arguments furent pleinement développées dans Al-Ada est al-Harba (10638), un volume plaisant dû à un officier retraité de l'armée de Kaitain, Bsh. Joon Piitpinail. Il commence par s’appuyer sur le peu de documentation trouvée soutenant al-Harba, pour remettre en cause la probabilité que le dramaturge le plus en vu du moment ait laissé si peu de traces. Il ajoute ensuite quatre objections qui firent leur réapparition dans toutes les réclamations ultérieures.

1-      Le Naib Fremen Guaddaf a écrit dans son Jugement sur Arrakeen, une série de sermons, disant qu’al-Harba mourut d'une hémorragie intestinale suite à une ivresse prolongée. Piitpinail demanda si ce comportement était compatible avec l'auteur des lignes:

« Prenez en toutes choses un peu moins de la totalité,
Car la surabondance brouille l'œil et émousse le cerveau.
Mieux vaut un mendiant accroupi à côté du trottoir
Qu'un splendide sot dessous.
(Les paumes poussiéreuses, IV, IV, 107-10)

« Demandez à quelqu’un de croire que ces lignes sont venues de la plume d’un ivrogne difforme de yorba, c’est demander de croire à une création ex nihilo »." (Piitpinail, p. 33.)

2-      L'actrice Karene Ambern décrit une réunion avec al-Harba: «... dès son entrée, je savais pourquoi Harq al-Harba n’avait jamais assisté tenté une performance en solo, ou interdisait au public tout contact avec lui Il est encore difficile pour moi d'accepter qu'un tel esprit poétique puisse être piégé à l'intérieur d'un tel corps hideusement déformé. Je n’avais jamais imaginé qu’une telle caricature d'être humain puisse exister. "(Piitpinail, p 41; Du champagne dans mon chausson ; L'Autobiographie de Karene Ambern, comme l’a rapporté Ruuvarz Dillar, orig pub 10324; rééd Zimaona:... Kinat).

3-      Al-Harba était un passionné secret des ordinateurs. Cette étrange accusation se développe ainsi: si, selon la tradition, al-Harba était un vendeur de minimic, sa vie dépendait donc de ce qui, pour son temps, était de la haute technologie. Piitpinail demande si un "mecanotheiste" (son terme) aurait pu écrire :
« Machines dures et froides comme Rossak, stériles comme Salusa Secundus, elles nous ont broyé sous leurs roues de fer, ont gelé notre sang. Elles arrêtent les lettres fondatrices, font taire la voix Créative. Mort au Roi Machine! (Am I, i, 35-39)

4-      Le dernier argument est que d'autres dramaturges considéraient al-Harba comme un imbécile sans cervelle. La première preuve vient d'une pièce, Les recoins d’Arrakeen (II, III, 11-19), par Tonk Shaio. Elder et Staple, deux des personnages, discutent des nouveaux arrivants sur Arrakis:

Eld : Maintenant, notre chef est arrivé, celui qui est prétentieux.

STA : Vous parlez du péquenaud?
Le voyageur des trous pommés qui refourgue des pièces?

Eld : Celui-là. Il a commencé par le vol, en rapiéçant des pièces usées ; mais maintenant, il pense que son travail à l'aiguille s’est améliorée, que n’importe quel costume d’écrivain lui convient et quand il vous le dit en face, il rigole.

     La deuxième preuve vient à nouveau du Jugement de Guaddaf : Où est la justice dans les millions versés aux acteurs écervelés et à leurs parasites quand les pauvre meurent de faim dans leurs sietches? Quelle vertu y-a-t-il à acclamer ceux qui vivent en ne racontant que des mensonges vides. Quel profit y-a-t-il à déblatérer des histoires idiotes de passé informe qui, jusqu’ici ne donne aux hommes, aux femmes et aux enfants quelque chose qui les laisse bouche bée.
     « "Passé informe Maudit "est une référence très claire que nous pourrions souhaiter à la pièce Lichna dont le personnage central est Scytale, le Danseur Visage Tleilaxu". (Piitpinail, p. 49).
     Ces quatre revendications ont un air de rétrospection : ayant déterminé par acte de
foi que X, Y ou Z écrivit les pièces d’Harba, on recherche ensuite des brouillons permettant de discréditer l'auteur reconnu. Pour le premier – l’histoire de l’alcoolique - nous pouvons noter que Guaddaf compila Jugements sur Arrakeen en 10366. Admettons qu’il composa ses sermons à différents moments entre le début de sa carrière10335, et la publication du volume,
Le premier n’aurait pu être écrit, au plus tôt, que dix-huit ans après la mort d’al-Harba. En outre, les sermons sont une critique de la scène en général, avec leur plus dures invectives réservée aux acteurs, al-Harba n’était pas un acteur. Enfin, tout autre événement décrit dans les sermons se déroule sur Arrakis, pourtant, si le récit de la mort d'al-Harba est vrai, la beuverie aurait dû se situer sur Fides. Supposons que la description soit basée sur des faits : quelle différence cela fait-il ? L’Histoire préserve les noms de grands, médiocres et misérables écrivains qui ont bu plus que ce qu'ils auraient dû. Si la citation des paumes poussiéreuses ne montre rien, elle montre que l’auteur voyait l’état d’abrutissement alcoolique comme un état indésirable, une observation qui pouvait être faite par un alcoolique aussi bien qu’une personne n’ayant jamais bu d’alcool.
     Piitpinail semble ignorer que ses deuxième et quatrième arguments se contredisent : Karene Ambern dit al-Harba vivait en reclus; Tonk Shaio dit al-Harba était un plagiaire. En outre, si al-Harba était un vendeur ambulant, comme les arguments 3 et 4 le laissent supposer,  il serait alors nécessairement montré en public, et pas seulement sur un monde, mais sur plusieurs. Les assertions s’emboîtent si mal parce que leurs auteurs se raccrochent à tout ce qui pourrait être interprété comme anti-Harba. Néanmoins, considérons-les chacun séparément.
     Champagne dans mon chausson fut publiée en 10324, sept ans après la mort d'al-Harba. Le dramaturge était alors incapable, tout comme sa femme qui vivait sur Fides, de réfuter une fausse affirmation. Il faut considérer la crédibilité du livre en général. Apparemment dans une tentative de récupérer son succès la vedette, Karene Ambern affirma dans son livre avoir partagé le lit de chaque homme important (ou femme) des soixante dernières années, y compris le commandant de police Bannerjee, le ghola Duncan Idaho, Harq al -Ada et Leto II lui-même. Certains de ses récits pourraient être vrais; la difficulté est de savoir lesquels. Aucun historien n’accepte ce qui est énoncé dans le livre de Ambern sans corroboration indépendante, et les historiens littéraires ne se montrent pas moins prudents. Il n'y a certainement aucune preuve à l'appui de l’affirmation selon laquelle al-Harba avait un «corps hideusement déformé."
     Al-Harba était un passionné secret des ordinateurs ? Cette accusation est clairement encore plus tirée par les cheveux que les autres et ne doit pas être retenue longtemps. Mise à part  une croyance traditionnelle sur les occupations antérieures d’al-Harba, aucun élément de preuve ne soutient le troisième point. Jusqu'à ce qu’une telle preuve se présente, il n'y a rien à répondre.
     Enfin, quelle était la position d’al-Harba parmi les dramaturges de son temps? Assurément une pièce de Shaio retranscrit une certaine querelle littéraire de l'époque; il pourrait même sagir d’al-Harba. De telles joutes verbales étaient monnaie courante, et la plupart  se limitaient au simple spectacle. Le poète al-Mashrab, un dramaturge occasionnel lui-même, a dit dans ses mémoires qu'il aimait al-Harba "pour sa compréhension et les moyens tranquilles." L'artiste et scénographe Anani Strosher dit d'al-Harba et l'écrivain Au'Riil que «la mise en scène de leurs pièces a été la joie suprême de l'œuvre de ma vie, mais si je devais choisir entre les connaître et mettre en scène leurs pièces, je préfère les connaître ». (Les deux citations sont extraites de FS Marik, Monuments du drame Atréidien, III, 454; V, 628.)

Les requerants :
Farad’n Corrino. Si al-Harba n’avait pas écrit les pièces qui portent son nom, alors qui l’a fait ? Farad’n Corrino fut le premier proposé. Comme les deux prétendants suivant, il était de noble naissance, fournissant ainsi à ses partisans leur premier argument.
Écrire ouvertement pour le théâtre, disaient-ils, était indignité d'un noble ou d’un  homme d'État, et la connaissance de son auteur aurait abaissé son prestige à la Cour. Ce point fournit un bon exemple de la pensée sélective si souvent montré dans la controverse. Le Duc Mintor, le père du Duc Leto Atréides, se produisit plusieurs fois dans l’arène où, d’ailleurs, il mourut.
Feyd-Rautha Harkonnen tua plus de cent esclaves en publics dans des combats de gladiateurs, beaucoup d'entre eux alors qu'il était na-Baron et souvent en présence de membres de la maison royale. Si des activités comme celles-ci n'ont pas rabaissé le prestige des Atréides ou des Harkonnen prestige, il est difficile de voir pourquoi écrire une pièce de théâtre réduirait celui de Farad'n.
     La preuve la plus originale en faveur de Farad ' n Corrino fut présentée dans Le grand cryptogramme de Izhnaikas Bauf (10647). Bauf avait découvert ce qu'il appelait le « code du labour » dans la pièce Carthage et sa méthode était élégamment simple : Bauf localisait un passage dans lequel la première lettre du premier mot était un  F (pour Farad'n) et la première lettre du dernier mot a été O (pour Corrino). Entre ces points, la première lettre de n’importe quel mot pouvait être déplacée alternativement le long des lignes de gauche à droite et de droite à gauche (d'où le terme « Labour »), sautant les mots qui ne contenait pas la lettre suivante souhaitée. Lorsque la fin du passage a été atteinte, Bauf répétait l’opération en arrière et en avant si nécessaire. Voici le passage Bauf prend de l'acte III, scène ii de Carthage, lignes 235-47:
« De ces humeurs conditionnées par le reflux de la chimie et circulant dans une mer
amniotique
Pinocchio sent vaguement
Un barroum-boum-boum péristaltique
Pourtant, quand il lève la tête
Vers des étoiles variables et des galaxies tournantes
Vers des comètes et des éclipses
Il ne parvient pas à reconnaître
Qu'il est un bivalve à la lisière de l'univers
Vous devez vous rappeler que je suis un martien
Ce qui est très différente dans l'espace et le temps
Des denubiens et des gens de Al Minhar
Nous ne venons pas pour autant de faire nos observations »

(Le tableau suivant ne peut être traduit, les mots modifiant leur première lettre. Il faut donc garder la forme première cf. se reporter au tableau original) 


Comme le montre l’exemple, Bauf retrouve le nom « Farad’n Corrino » dans le passage et ajoute : « on pourrait difficilement manquer de noter – il doit, en effet, frapper l’observateur – que le nom n’a pas seulement été énoncé, mais que les trois mots sont utilisés deux fois, et que lorsque ces mots sont extraits du code (comme leur auteur avaient prévu qu'ils soient des centaines d'années plus tard), ils forment le message « reconnaître — pas — notre. » Nous ne pouvons pas faire autrement  qu’être impressionné par la clarté et la vigueur avec laquelle al-Ada parle à travers les siècles, en nous disant que nous reconnaissons que ces pièces ne sont pas le fait du vendeur abruti » (p. 248). Le code du Labour n'est pas un code ; avec des lignes assez, on peut extraire n'importe quel nom. Pour illustrer, reconsidérer le passage :

 (Le tableau suivant ne peut être traduit, les mots modifiant leur première lettre. Il faut donc garder la forme première cf. se reporter au tableau original) 


     En utilisant la même méthode, nous découvrons le message "Fremen cielagos trop," montrant que Farad'n reçut l'aide de petites chauves-souris originaires d'Arrakis.

Hasimir Fenring. Les partisans de Hasimir Fenring, comme l'auteur caché, acceptent l'argument de la « perte du statut » des al-Adiens, mais ajoutent un autre argument qui leur est propre. Ils affirment que le climat durant le règne de Leto II rendait l'expression d'opinions politiques peu orthodoxes très risqué. Étant donné que bon nombre de pièces de théâtre étaient des histoires, leurs auteurs avaient besoin de la protection du secret. D’après leur version, Fenring ne mourut pas en 10225, mais entra dans la clandestinité. Sa mort fut annoncée de manière anticipée pour couper court aux enquêtes, mais il a vécu pendant encore vingt-huit ans, écrivant des pièces sous le nom « Harq al-Harba. » Lorsque Fenring mourut réellement en 10313, son identité fictive fut fictivement déplacée sur Fides, où il mourut d'une mort fictive quatre ans plus tard.
     Il y a une certaine vérité dans l'observation sur le danger d'exprimer une opinion impopulaire. L'exemple le plus connu de ce danger est, bien sûr, la crémation des neuf historiens, mais cet événement eut lieu plus de deux mille ans plus tard, en 12335. Jusqu'à ce que les rapports des poursuites criminelles des premières années du règne de Leto soient découverts, nous ne pourrons pas avoir la certitude quei le meurtre des historiens représentait une aberration sanglante ou une partie d'un plan s’étendant tout au long de son règne.
     Selon Une demi-douzaine d’Harbas de JT Duub, Fenring avait dirigé un groupe qui écrivait collectivement des pièces de théâtre, Duud s’appuie énormément  sur l’un des souvenirs de Shishakli, l’un des premier chambellans de Leto, et sur une conversation avec l’Empereur, peu de temps après une rébellion  mené par Al-Ataud au début du règne de Leto, pour affirmer que le Kwisatz Haderach raté était à la tête de ce groupe. Comme le note Duub, la pièce Shaddam IV, et sa fameuse scène de la déposition, fut jouée à Arrakeen le matin même de la rébellion pour réveiller la ferveur révolutionnaire de la population. Jusque-là, al-Ataudavait été le chef des coutumes sur Arrakis, un poste qui lui fut offert par Leto. Duub décrit la conversation :
L’Empereur commença avec une remarque pensive, « Cher Shishakli ! Je suis Shaddam IV ; ne le sais-tu pas ? » A quoi le chambellans répondit, « Une telle méchanceté n’a pu être décidée et appliquée que par un homme des plus ingrat, la créature la plus décorée que votre majesté ait jamais pu faire. » Il aurait pu désigner al-Ataud mais l’Empereur, dans sa réponse, semble avoir voulu dire « al-Harba » (Fenring), en disant de manière énigmatique, « Celui qui oubliera Dieu oubliera également ses bienfaiteurs ; cette tragédie a été jouée quarante fois en public. » Al-Ataud, bien sûr, n’avait rien à voir avec ces quarante représentations. Fenring fut tout près de perdre la vie, seul le souvenir de Fenring épargnant la vie du père de l’Empereur, Paul Muad’Dib, le sauva de l’emprisonnement ou pire. (Pp. 80-81)

     Duub n’a alors plus qu’une solution : soit le pseudonyme de fenring est un secret pour le protéger de Leto (pp. 35-47), soit il n’y a pas de secret, et Leto protège Fenring durant les périodes politiques difficiles (le passage précité). Si le secret n’a pas vocation à protéger Fenring de Leto (comme Duub l’a déjà affirmé), de qui le protégeait-il alors ? Cette contradiction est typique du raisonnement de Duub.

Leto II
     En 10710, le livre d’A. J. Kiilwan, L’homme qui était al-Harba, avance que les pièces d’al-Harba avaient été écrites par Leto II lui-même, une théorie qui a surpassée les autres en popularité et en constance. Il en résulte qu’elle rabaisse al-Harba, et insiste lourdement sur le fait que les pièces s’appuient sur des connaissances politiques approfondies, en prétendant que seul quelqu’un qui avait des informations de première main, pour ainsi dire, sur les événements, aurait pu en être l’auteur.
     Kiilwan reprend la pièce Carthage, pas pour les crypyogrammes, mais plutôt pour les lignes qui, selon elle, n’ont de sens que si l’écrivain était Leto. Elle soutient :

L’empereur-Dieu doit souvent se considérer comme unique, entièrement distinct de l’humanité, essentiellement un étranger, comme il se lamente dans « Je suis l’étranger que vous attendiez » (III, i, 1), et « Pourquoi suis-je alors seul / Pour ce rôle d’étranger- » (130-31). Avec les souvenirs de ses ancêtres à l’intérieur de lui, il dit, « Ce jour-là, un étranger se réveilla en moi » (HI, ii, 5), en nous parlant de sa première expérience avec l’épice. Plus tard l’expérience devint banale : « J’ai marché parmi les Grecs et le Romains » HI. i, 47), ou encore, « Nous avons vu tout cela avant, vous savez / Carthage, l’Assyrie… » (137-38). Deux fois dans la même scène, il pleure sur le fardeau de ses longs souvenirs :

J’ai des moments d’absence, cependant,
Lorsque votre histoire s’effondre,
Et j’oublie-
Pas le jour-
Pas l’année-
Mais l’âge !
Quel éon est-ce ? (III, ii, 248-54)
Et encore,
Je dois me rappeler qui je suis
Et quand.
Il est terriblement facile de mélanger jusqu’à deux mille ans,
Juste un grand flou kaléidoscopique
Suffit à m’embrouiller au-delà du possible (III, ii, 341-45) 
Un mortel aurait-il pu écrire ces lignes ? (pp. 217 et 218)

     Si cette question n’est pas purement rhétorique, la réponse doit être : « Oui il aurait pu. » Que Leto II ait été ou non Harq al-Harba, il n’était assurément pas l’écrivain de chaque histoire jamais écrite, et quelle attitude vient naturellement à l’historien que le sentiment de regarder le passé ? Les théories fantaisistes sont abondantes : personne n’a encore affirmé que Harq al-Harba était une réincarnation de quelqu’un qui aurait vécu dans l’antiquité, et pourtant la théorie de la métempsycose, aussi vieille que l’humanité, peut expliquer chaque référence aux « voix » intérieures, tout comme chaque exemple d’un travail historique précis.
     Mais nous pouvons aller plus loin et renforcer la thèse de Kiilwan. La deuxième scène qu’elle cite, III, ii, contient ces lignes : Faites place à un meilleur instructeur – Assur-Nasir Apli, le plus cruel des cruels dont le règne commença avec le parricide. (11. 125-27)
     Parmi les documents découverts dans le magot de Rakis se trouvaient les originaux des Mémoires volés. Dans l’un d’eux (Rakis Réf. cat. 31-A125) nous pouvons lire ceci : « Notre ancêtre, Assur-Nasir-Apli, qui était connu comme le plus cruel des cruels, s’empara du trône en tuant son propre père instaurant ainsi le règne de l’épée. Et nous pouvons aller encore plus loin : un autre cristal conserve une conversation avec un certain Malky, ambassadeur ixien. Leto avait demandé à Malky s’il connaissait les mots Taquiyya ou Ketman. L’ambassadeur ne connaissait pas le premier, mais parlant couramment fremen, il traduisit le second comme « l’art de dissimuler son identité quand il pourrait être néfaste de la révéler. » Satisfait de la réponse, Leto déclara ensuite qu’il avait écrit plusieurs histoires sous un pseudonyme, incluant celui de Noah Arkwright et même sa biographie.
     Quel capital les letoïstes auraient pu en tirer. Leur candidat déclara qu’il avait écrit des Histoires (pas des pièces, faute de mieux) sous un pseudonyme, et dans l’une des pièces d’al-Harba, on retrouve une citation très proche d’un passage des Mémoires de Leto.
     Toutefois, le soutient fourni par la citation est illusoire. Les étudiants en littérature Atréides savent depuis longtemps qu’Harq al-Harba avait ses sources et que la plupart d’entre elles avaient survécu. Dans le cas de la pièce Carthage, al-Harba se basa sur Les chroniques des conquérants de ; légendes pré-butlériennes collectées en 9222 et traduites sur Arrakis en 10295. Le passage des chroniques se lit comme suit : « En cela, il avait eu un meilleur instructeur, Assur-Nasir-Apli, le plus cruel des cruels, qui tua son père pour prendre possession du trône. » Voici toutes les informations, jusqu’aux épithètes, dont al-Harba avait besoin pour le passage en question. Cela était même au-delà des pouvoirs de Leto II d’écrire un livre mille ans avant sa naissance.
     Enfin, pensez à la définition du terme ketman que Leto approuva : « Dissimuler son identité lorsqu’il pouvait être néfaste de la révéler. » Néfaste pour qui ? Quelle puissance pouvait éventuellement nuire à Leto de telle sorte qu’il aurait souhaité que la paternité de ses pièces soit dissimulée ? La Guilde Spatiale, les Grandes Maisons, les ixiens, le Bene Gesserit, le Tleilax, tous essayèrent de le blesser, mais tous échouèrent. Pourtant rien ne montre que leur colère avait été provoquée par la découverte qu’il avait écrit secrètement des drames. Cette théorie est simplement idiote.
     Il existe, cependant, une autre solution, une qui ne possède ni plus ni moins de preuves que celle de Kiilwan. Harq al-Harba représentait quelque chose de nouveau, quelque chose d’inattendu dans le règne de Leto. Nous savons que tout au long de son règne, il entretint de plus en plus jalousement le pouvoir de surprendre. Il semble parfois que son règne fut consacré à réduire l’humanité de chaque planète à une informe grisaille. N’aurait-il pas alors, souhaité supporter et peut-être même instiguer, la notion qu’il était Harq al-Harba ? Nous ne trouvons pas, dans le livre de Kiilwan, de preuves convaincantes permettant de croire que Leto II était Harq al-Harba, mais cela éveilla des soupçons sur l’identité d’A.J. Kiilwan.
     En résumé, l’énigme al-Harba n’est une énigme que dans l’esprit de ceux qui sont affectés de snobisme, d’illusions, de culte des héros et d’ignorance de l’histoire littéraire Atréides. Aucun spécialiste d’al-Harba n’y a prété foi, et ce pour une bonne raison : il y a plus de preuves attestant qu’Harq al-Harba écrivit les pièces qui lui étaient attribuées, que de preuves sur l’existence de Virgile, Rabelais, Milton, McCartney, Shumwan, Astiki, Carnwold, et une foule d’autres. Il existe bien plus de documents probants à propos d’al-Harba et de sa vie que sur tout autre de ses contemporains, excepté ceux des Grandes Maisons et de leurs historiens professionnels. Le magot de Rakis n’a en rien remis en question la conclusion que les pièces d’Harba étaient le fruit du génie d’Harq al-Harba.

Autres références :
-          Harq al-Harba ;  
-          Karene Ambern, Du champagne dans mon chausson : L’autobiographie comme l’a dit Ruuvars Dillar (Zimaona: Kinat);
-          Izhnaikas Bauf, Le grand cryptogramme. Rakis Ref. Cat. 31-BL9O4;
-          S. T. Duub, Une demi-douzaine d’Harbas, Rakis Ref. Cat. 42-BL65;
-          Cybele Harik. Le prince / Le dramaturge (Zimaona: Kinat);
-          Tovat Gwinsted, Chroniques des conquérants (Caladan: INS);
-          A. J. Kiilwan, L’homme qui était Harba, Rakis Ref. at. 75-BL791;
-          E S. Marik, Drame aux monuments des Atréides, 5 v. (Grumman; Hartley Univ. Press);
-          Pander Oulson, Sainte Alia chasseresse d’un milliard de mondes Worlds, Rakis Ref. Cat. 2-A439;
-          Naib Guaddaf, Jugement sur Arrakeen, Rakis Ref. Cat, 29-Z182;
-          Bsh. Joon Piitpinail, Al-Ada est al-Harba, Rakis Ref. Cat. S-BL469;
-          Tonk Shaio, Les recoins d’Arrakeen, Rakis Ref. Cat. 61-BL757;
-          Kurt Zhuurazh, Al-Ada