samedi 17 octobre 2015

Atréides Leto II, en tant qu’énigme.


Atréides Leto II, en tant qu’énigme.

     Leto aurait pris un plaisir extrême à l'idée des générations futures écrivant des articles  encyclopédiques le concernant. Il aurait certainement eu du mépris pour ces écrivains, de son vivant, en se vatant d’avoir fait brûlés vifs des historiens sur un bûcher composé de leurs propres œuvres. Aucun historien n’autait osé prétendre égaliser les connaissances du passé avec Leto, car, après tout, Leto était directement responsable de plus de 3500 ans dans ce passé. En outre, compte tenu de son affirmation selon laquelle il avait en lui les souvenirs de chacun de ses ancêtres, on peut raisonnablement suggérer que les mots Leto et l'histoire ne font qu’un.

     Le mépris de Leto pour l'histoire et les historiens fournit un indice quant à la nature de cet homme et ce dieu, de cet ultime inconnu. Dans ses Mémoires Volés, Leto écrivit à propos de l'histoire :

 

« Vous ne comprenez pas l'histoire si vous ne comprenez pas ses courants, ses tourbillons et la manière dont les meneurs d'hommes s'insinuent dans son flot. Le chef est celui qui s'efforce de perpétuer les conditions qui requièrent sa présence. Ainsi, il a besoin de ceux de l'extérieur. Je vous prie d'examiner mon règne avec soin. Je suis à la fois celui qui domine et celui qui est extérieur. Ne commettez pas l'erreur de penser que j'ai été le seul à créer une Eglise représentant l'Etat. C'était mon rôle en tant que chef et je m'appuyais pour cela sur de nombreux modèles historiques. Quant à mon rôle extérieur, il suffit de considérer les arts de mon époque. Ils sont barbares. La forme poétique la plus répandue ? L'épopée. L'idéal dramatique populaire ? L'héroïsme. La danse ? Effroyablement délaissée. De son point de vue, Moneo a raison quand il dit que c'est une situation dangereuse. Elle donne libre cours à l'imagination. Elle permet aux gens de ressentir l'absence de ce que je leur ai ôté. Et que leur ai-je ôté? Le droit de participer à l'histoire ».

 

     Leto maudit la seule chose qu'il croyait être essentiel à la liberté de ses sujets. Il usurpa leur droit à se créer leur propre passé, en vivant dans un présent perpétuel. Les mondes étaient  strictement administrés selon les caprices de l'Empereur-Dieu, et il etait pour toutes les créatures pensantes que vivre en dehors de ce qu’il décidait était impensable. Leto était Dieu et, en tant que Dieu, tout était créé à son image. Avec une telle vision de l'univers, il ne pouvait permettre à quiconque d'interpréter le passé ou même de le décrire. Seul Leto conaissait le seul et unique chemin, le Sentier d'Or, et sa possession exclusive du chemin exigeait qu'il possède toutes les cartes. Le passé, ou au début, du Sentier d’Or, devait rester entre ses mains parce qu'il était une clé pour ce qu'il voulait pour l'avenir.

     Ainsi, l'attitude de Leto envers les historiens était un mélange de plaisanterie ironique et de politique tyrannique. D'une part, Leto savait que ceux qui vénéraient le passé pouvaient en comprendre si peu qu'ils en étaient risibles dans ce qu'ils prenaient pour la vérité. D'autre part, il ne voulait pas que qui que ce soit, même par accident, puisse interpréter le passé et trouve la clé de l'avenir. Comme l'indique ce passage, sa réponse à la nécessité du mouvement historique fut d'usurper tous les rôles. En devenant le dialecticien historique, il devint lui-même l'histoire, et, par conséquent, l'avenir.

     Quel genre d'être pourrait avoir un ego tel qu'il oserait concevoir un tel plan ? Quel genre d'être aurait une telle puissance qu'il pourrait effectivement réaliser ce plan ? La réponse est claire : seul le vrai Kwisatz Haderach, le mâle Bene Gesserit dont la puissance organique pourrait combler l'espace et le temps. Leto Atréides était le vrai Empereur-Dieu de Dune parce qu'il avait été élevé pour endosser ce rôle.

     En appelant Leto II le vrai Kwisatz Haderach, il ne devrait pas être compris que le Bene Gesserit ait eu l'intention de créer Leto ou qu'il avait une main mise sur le chemin qu'il prenait. Alors que sa grand-mère, la Révérende Mère Dame Jessica Harkonnen, la concubine de Leto Atréides I, jouât un certain rôle au début de la vie de Leto, elle le fit contre les désirs de son ordre. Pour le Bene Gesserit, Leto et sa sœur jumelle, Ghanima, étaient tous deux des Abominations. Tous deux étaient pleinement conscients dans le ventre de leur mère, Chani Liet Kynes, la concubine Fremen de Paul Muad'Dib Atréides, et les deux se sont éveillés à la conscience remplis des personnalités et des souvenirs de tous leurs ancêtres. Le Bene Gesserit aurait préféré que Leto meure car il fut responsable d'un grand nombre de complots contre l’ordre durant les 3.500 ans, qu’il vécut.

     Mais Leto n’était pas une Abomination. Contrairement à Alia Atréides, appelé précision l’Abomination, Leto apprit à contrôler toutes les personnalités vivant à l'intérieur de lui et à les utiliser. Il était encore enfant quand il renversa Alia, puis il fonda un empire qui relégua celui de son père, Muad'Dib, dans l'ombre.

     Aussi incroyable que ces faits puissent paraître, même à ceux qui ont toutes les raisons de les croire vraies, ils font pâle figure par rapport à la transformation biologique que Leto subit. Juste avant de renverser Alia,  il mena le jeu des enfants Fremen à l'extrême. Les enfants Fremen s’amusaient à placer les truites des sables sur leurs mains et les regardaient se mouler sur elles ; ils secouaient alors leurs mains et pouvaient admirer les truites formant des "gants". Leto, lui, plaça des truites des sables sur l'ensemble de son corps ne laissant comme espace libre que sa bouche et son nez. Le résultat fut une force au-delà de l'imagination et une vie qui dura des siècles. Avec la transformation d’Arrakis, Leto devint le dernier Shai-Hulud ou du moins, le dernière Shai-Hulud potentiel.

     Considérons alors la combinaison que Leto représentait : il contenait en lui-même l'histoire complète des mondes, les souvenirs de son père et la connaissance, et la force de Shai-Hulud, Grand ver des sables d'Arrakis. Comment était-il possible de croire que Leto était autre chose qu’un dieu ?

     Et quel dieu Leto dut-il être, lui qui avait à la fois du sang des Atréides et des Harkonnen dans les veines, qui avait été élevé dans l’un des derniers sietchs fremen. Bon nombre de personnalités qui habitaient le corps de Leto étaient des personnalités fremen, reçues de sa mère, Chani. Ainsi, il est intéressant de soulever une fois de plus la question précédente : quel genre d’être possédait un tel ego qu’il oserait même concevoir devenir toute l’histoire à venir ? Un tel être pouvait être un Atréides, qui tenait de ses ancêtres une soif de sang non étanchée, même si les Atréides n’étaient pas, en général, de type cruel ou violent. Le père de Leto était l’un des Atréides doux. Il ne fut jamais à l’aise avec toutes les actions qui avaient été commises en son nom. Certains chercheurs ont même suggérés que c’est cet aspect doux qui avait déterminé la voie qu’avait pris Muad’Dib quand il était parti, aveugle, dans le désert arrekeen. Il se dégoutait d’avoir été le leader de ce second Jihad. Mais Leto n’avait pas la même nature que son père. Il avait pu revêtir la peau des truites des sables, et l’histoire le prouva amplement, Leto n’hésiterait pas à exercer son pouvoir, même de manière violente.

     D’autres êtres pouvaient avoir un ego aussi fort, les Harkonnen. Tout aussi sanglants que les Atréides, les Harkonnen savaient utiliser le pouvoir. Ils avaient du talent pour gagner et pour exercer le pouvoir en utilisant les intrigues diplomatiques impliquant fréquemment d’avoir recours à l’assassinat. L’arrière-grand-père de Leto, le Baron Vladimir Harkonnen, fut surtout connu pour la luxure dont il aimait s’entourer et pour sa mort des mains d’Alia Atréides, mais il faut se rappeler également qu’il fut un génie en matière diplomatique. Il fut capable de manipuler un certain nombre d’entreprises commerciales pour rétablir rapidement la puissance de sa famille, après qu’un de ses ancêtres l’eut détruite par un acte de lâcheté. Compte tenu des luttes de pouvoir constantes au cours du règne de l’Empereur Padishah Shaddam IV, un tel exploit fut remarquable. Une fois encore, l’histoire nous révèle que Leto savait bien comment enfiler le gant de velours de la diplomatie lorsque cela était nécessaire.

     Le troisième individu capable d’avoir un tel ego pouvait être un fremen, lorsque ce dernier était convaincu que ce qui était en jeu était le tau de son sietch. Compte tenu de ce que l’on connaît de la culture fremen et des fedaykin, il est difficile de ne pas voir le caractère résolu de Leto comme une expression de la dévotion fremen à la communauté. Leto inventa le Sentier d’Or, mais il y croyait réellement. Pour lui, il était le seul vrai moyen de préserver les mondes d’une destruction massive. Un fremen, face à une potentielle destruction de son sietch, aurait utilisé tous les moyens à sa disposition pour préserver le tau. Leto agit pour préserver le tau de l’humanité, mais les moyens à sa portée dépassaient, de loin, ceux à la disposition d’un simple fremen. Enfin, le quatrième être doté d’un tel ego : Shai-hulud, « Le Vieil Homme du Désert », « Le vieux Père Eternité » ou « Le Grand-Père du Désert ». Shai-hulud, il ne s’agit pas ici, d’un quelconque vers des sables d’Arrakis ou de ceux rabougris qui existent maintenant sur Rakis. Non, il s’agit du terme Shai-hulud que les fremen utilisaient pour personnifier les forces élémentaires de la planète, ces forces qui étaient si grandes, si écrasantes, qu’elles résistaient au temps. Shai-hulud était, pour les fremen, la seule vraie force éternelle. Les pouvoirs de Shai-hulud étaient si vastes, si incroyables, que les fremen les croyaient au-delà de la raison. Shai-hulud ne vivait que pour lui-même, indifférent et incapable de comprendre les pauvres créatures qui partageaient son monde. Et Leto était également capable d’une telle indifférence monumentale. Monéo Atréides, le dernier intendant de l’Empereur-Dieu, avait souvent vu Leto dans ce type d’humeur. Il appelait cela : « Les soubressauts du ver ».

     Atréides, Harkonnen, Fremen, Shai-hulud – tous pouvaient posséder un ego suffisant pour oser devenir l’histoire et l’avenir de l’univers. Mais Leto était tous les quatre ; il avait osé parce que cela était une partie essentielle de sa nature. Leto n’avait eu aucun choix. A cause de ce qu’il était, il était destiné à réussir là où son père avait échoué pour devenir le vrai Kwisatz Haderach. Et parce qu’il était destiné à être le Kwisatz Haderach, il devait forcément devenir l’Empereur-Dieu car ils sont tous deux une seule et même chose.

     Une seconde citation des Mémoires Volés illustre bien ce point :

 

« Quand j’ai entrepris de guider l’humanité sur mon Sentier d’Or, je lui ai promis une leçon dont ses morts se souviendraient. J’ai connaissance d’un schéma profond dont les humains nient l’existence dans leurs paroles tout en la confirmant dans leurs actes. Ils disent rechercher la sécurité et le calme, cet état de choses qu’ils appellent la paix. Mais en même temps qu’ils parlent, ils disséminent les graines du désordre et de la violence. Et s’il leur arrive d’atteindre leur fameuse sécurité tranquille, ils s’y contorsionnent désespérément, prisonnier d’un incommensurable ennui. Regardez-les donc ! Voyez à quoi ils s’occupent pendant que j’enregistre ces paroles. Ha ! Je leur ai donné des millénaires d’une tranquillité forcée qui persiste malgré tous les efforts qu’ils font pour retomber dans le chaos. Croyez-moi, le souvenir de la Paix de Leto les marquera à jamais. Après cette leçon, ils ne chercheront plus leur sécurité tranquille qu’avec d’infinies précautions et une préparation soigneuse ».

 

     Dans ce passage, on retrouve les quatre personnages. Ici, on peut voir le cynisme des Atréides, la joie dans les stratagèmes de manipulation des Harkonnen, la rude vision du monde des Fremen et le rire de Shai-hulud. Pas étonnant alors, que tant de savants proposent tant de différentes versions de Leto Atréides II. Certains voient en lui un tyran assoiffé de sang, qui aimait à jouer avec les gholas Duncan Idaho à travers un sens pervers du « bon vieux temps ». D’autres le voient comme un politicien corrompu, passant son temps en plaisirs obcènes avec Hwi Noree. D’autres encore voient Leto comme le professeur, compatissant mais dur, de l’humanité, instruisant Siona Atréides à reprendre le flambeau et à mener l’humanité toujours plus loin sur son Sentier d’Or. Et enfin, certains le voient comme Dieu riant de toute sa création, simplement parce que cela était son bon plaisir.

     Lorsque Leto tomba du pont pour se dissoudre dans l’eau en dessous, qui ou quoi mourut ? C’est un Atréides qui mourut, et un membre de la Maison Harkonnen, et un fremen, et Shai-hulud, et c’est aussi la synthèse de tous, le Kwisatz Haderach. Chacun mourut seul et comme une entité unifiée parce que c’est ainsi que Leto vécut. Il était guerrier, hédoniste, enseignant et dieu. Aucune chose qu’il fit ne le fut pour une seule raison, mais chaque action avait été faite pour plaire à chaque personnalité qui vivait en lui. Aucune ne sera jamais Leto Atréides II, l’Empereur-Dieu de Dune. Le mieux que l’on puisse espérer est que l’humanité comprenne pourquoi une telle connaissance est impossible.

 

Autres références:

  • Atreides, Paul Muad'Dib;
  • Kwisatz Haderach;
  • Leto Atreides II, Mémoires, RRC 65A-302, RRC 70A-392;
  • Herk Elanus, L’arbre des Atréides 5 v. (Caladan: Apex);
  • Gwenewera Apturos, Vie de famille de l’Empereur-Dieu, (Tleilax: Mental).

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