jeudi 6 octobre 2016

Procès-verbal



Procès-verbal
  Les procédures judiciaires, et la menace de celles-ci, joua un grand rôle dans les crises de l’Impérium, mais aucune n’eut le rôle que tint le Procès-verbal qui figurait en bonne place dans plusieurs événements cruciaux au début de la dynastie des Atréides. L’histoire des procès-verbaux de Bergen Perobler (Revue numéro 3 de l’examen de la loi 73 : 35, 1147-76), l’article le plus original sur l’histoire de la jurisprudence de cette génération, dont est extrait la base du présent article.
  La difficulté pour l’historien juridique commence avec le Trésor de Rakis : plusieurs cristaux se réfèrent au procès-verbal qui, tout d’abord, était compris comme un rapport semi-formel alléguant une infraction contre l’Imperium (comme par exemple, Les Commentaires de Stilgar, mais cette définition fut rapidement rejetée par les premiers juristes qui étudièrent les traductions. Se rendant compte que dans chaque culture, la terminologie commettait des erreurs de précision, ces experts se demandèrent comment on pourrait « trouver un compromis entre une allégation verbale libre et une accusation formelle de crime » ; (Mahmut al-Saudin, Les procédures des magistrats de district, 353, Rakis réf. cat. 11-R3433). Dans toutes les sociétés, après discussion, une charge de crime était effectuée ou pas effectuée. Au sens légal, aucun statut ne pouvait-être murmuré, venir de rumeurs ou d’autres choses de ce genre.
  Par ailleurs, la recherche sur les plus anciennes significations du procès-verbal n’avait pas fait la lumière sur la question. Il ne fait aucun doute maintenant que le terme « franzh » est d’origine terrienne, mais son sens (voir Perobler, 1150) était précis : « un exposé des faits écrits, authentifié par l’appui d’un crime ou d’une autre charge ». Perobler citait donc un point de droit qui semblait anormal dans l’histoire de l’Imperium et dont les membres étaient, en règle générales, scrupuleux au point d’être fanatiques dans l’observation, minutieux même dans la plus petite loi formelle : le sens précis d’un terme avait, d’une certaine manière, été délibérément changé pour couvrir une situation en état de faillite, pourtant, le système judiciaire entier employa le terme de manière tellement familière qu’il semblait compris.
  Et il y avait un autre problème : en dépit de l’adjectif habituellement appliqué – « libre », « informel », « semi-formel » - la simple mention d’un procès-verbal était terrifiante. Le siridar-baron Vladimir Harkonnen avait momentanément paniqué lorsqu’il fut fait mention qu’un procès-verbal pourrait être porté contre lui (le Comte Hasimir Fenring, Rapport Impérial confidentiel 10 :192-8-13 ; Rakis réf.  Cat. L723-3) ; de même, le procès-verbal d’Alia contre les fedaykin avait conduit le groupe endurci dans les batailles à devenir souterrain (mais dans ce cas, Alia étant la Régente Impériale, son rapport – lui-même – était un stratagème pour masquer une action tyrannique). Si le procès-verbal n’était pas une accusation formelle de crime, pourquoi était-il tant redouté ? Beaucoup soutinrent, par erreur, que le terme avait été mal traduit, car le pire que pouvait faire un tel rapport était une surveillance accrue de la personne contre laquelle le procès-verbal portait.
  L’idée qui avait conduit à la solution de Perobler à ses problèmes, était une hypothèse que les gens comme Harkonnen et Alia, tout en étant conscients de la puissance des mots, ne se souciaient pas des mesures qui pouvaient être prises. Il abandonna donc l’idée universellement répandue que le procès-verbal était une question de procédure juridique, et au lieu de l’hypothèse que c’était un délit, ce n’était qu’une action illégale. Pourtant, il fut clairement estimé que le procès-verbal était quelque chose d’énoncé ; donc, pour que les mots soient des actions, ils devaient être d’un type particulier, des mots appelés « performatifs ».
  Les mots performatifs étaient étudiés dans les classes comme une logique élémentaire, depuis l’époque du philosophe de l’ancienne Terre, J.L. Austin (probablement le Saint-Augustin cité par Dame Jessica) : les performatifs sont ces adjectifs qui, quand on les cite, constituent une action. Par exemple : « je promets de bien me tenir », en parlant dans des circonstances appropriées, ils sont en fait une promesse ; quand on dit « je vous parie cinq souverains », les mots ne décrivent pas un pari, ils constituent un pari. D’autres exemples comprennent des vœux de mariage, des legs et autres choses du même genre. Par conséquent, dans la plupart des systèmes juridiques, durant des milliers d’années, l’énoncé d’un rapport performatif était admis comme une preuve, car il était considéré non pas comme un rapport des dires de quelqu’un (les ouï-dire étaient irrecevables), mais comme la preuve d’une action, de ce que quelqu’un a fait. Suite à son intuition, Perobler commença à enquêter sur les dossiers Summa de la Cour impériale, il recherchait des décisions établissant que des performatifs avec des conséquences juridiques existaient.
  Comme le savent maintenant les historiens légaux, Perobler découvrit une telle décision (l’Imperium contre Meljacanz, S.I.C. Sidir XX, 9670). Sidir XX, le soixante-troisième empereur de la Maison Corrino, avait proclamé une loi interdisant les fausses accusations de trahison l’année précédente. Meljacanz était un marchand qui avait propagé certaines rumeurs sur un concurrent, Agnan. A sa grande surprise, Meljacanz ne se retrouva pas devant un tribunal civil pour répondre d’une accusation de diffamation, mais devant une cour criminelle, poursuivit en vertu de la loi nouvellement promulguée. En appel, la cour summa jugea que les paroles de Meljacanz constituaient une accusation qui allait dans le sens du procès-verbal. Bien qu’Agnan ne fût pas présent lorsque les paroles avaient été prononcées, ses témoins avaient entendu et leurs témoignages ne furent pas considérés comme un ouï-dire par le tribunal, mais comme un compte-rendu de ce que Meljacanz avait fait. Ils décidèrent que son accusation était performative.
  En un siècle, cette décision fut pervertie, passant d’un dispositif contre la diffamation à un subtil moyen d’oppression. En vertu de l’ancienne loi impériale, si A accusait B de trahison, B pouvait refuser de se rendre à la barre comme témoin, en revendiquant l’antique protection contre l’auto-incrimination. Maintenant que la cour summa avait involontairement jeté de nouvelles bases, A pouvait être accusé de trahison orale (au moyen d’un procès-verbal anonyme ; ces documents, par un humour tordu, dans la tradition juridique, étaient généralement attribués à « Agnan, l’inconnu ». Pour se défendre de cette accusation, A convoquait B comme témoin de son innocence. Si B refusait de se rendre à la barre, une requête était adressée à la cour déclarant que B était un témoin réticent. A partir de là, B ne pouvait pas refuser de témoigner sans risquer un outrage au tribunal, B était donc obligé de se présenter à la barre et il n’y avait aucun appel. B ne pouvait plus, s’il allait à la barre, empêcher la présence d’un observateur ayant la transe de vérité.
  Dans un cas découvert par Perobler, une victime fut emprisonnée sous l’inculpation d’outrage au tribunal pendant 68 ans, il mourut sur Salusa Secundus. Après que B ait été retiré du tableau, « A pouvait alors exiger d’être confronté à son accusateur » ; puisqu’Agnan ne pouvait être retrouvé (puisqu’une telle personne ne pouvait exister), le tribunal ne pouvait pas rejeter l’affaire – ce qui permettait à B d’être libéré – mais pouvait lui permettre de suspendre la procédure jusqu’à ce qu’’Agnan soit retrouvé, libérant A de son propre engagement. L’informateur impérial tristement célèbre, Elson Ketrer, avait été ainsi libéré 201 fois avant d’être assassiné en 10075.
  Nous comprenons maintenant beaucoup plus clairement la peur du Baron. Le Comte Fenring le menaçait indirectement d’avoir recours à un tel procès-verbal anonyme contre lui (n’étant pas signée, une telle accusation méritait l’adjectif « libre »). Si la cour était saisie, Fenring aurait ensuite appelé Harkonnen comme témoin de la défense et le baron aurait été pris dans un dilemme : si Harkonnen avait refusé de témoigner, il aurait pu être incarcéré pour outrage ; s’il avait témoigné devant un observateur en transe de vérité, il aurait certainement révélé des choses suffisantes pour être accusé de multiples charges impériales.
  Malgré ce morceau d’érudition brillant et intuitif, Perobler sentit que ce qu’il avait trouvé ne pouvait toujours pas expliquer entièrement la situation du procès-verbal d’Alia. Certes, elle ne pouvait pas appeler tous les fedaykin comme témoin de la défense ; cette ligne d’action aurait été trop, même pour les tribunaux complaisants de sa Régence. Comme le découvrit Perobler, Alia ordonna que le procès-verbal avec les charges de crimes contre l’Imperium, soit établi non pas sur « Agnan », mais contre lui, et signé simplement « un fedaykin ». Elle ordonna ensuite au tribunal d’établir un acte d’accusation contre l’individu fedaykin (ainsi, on annulait la fiction) qui avait porté l’accusation. Tous les fedaykin furent convoqués pour établir l’accusation anonyme (et ils étaient en effet inexistant). C’est alors qu’Alia prit soigneusement conscience du comique de la plainte, le procès-verbal pouvait désigner coupable aussi bien le demandeur que le défendeur.
  En examinant les faits, Perobler mit le doigt sur l’une des plus grandes ironies de l’histoire. Le procès-verbal d’Alia contre les fedaykin était un stratagème visant indirectement sa mère. Dans la lutte contre la menace, Dame Jessica envoya un simple message à Stilgar : « Ma fille est possédée et doit être mise à l’épreuve » (Les chroniques de Stilgar, HI 92). Avec ce court message, Dame Jessica jouait sur le profond dégout que les fremen ressentaient pour la possession par les esprits, et en même temps il incluait une réponse pour Alia, et seulement pour Alia – Alia en tant que pré-née et sa mère, la Révérende Mère Jessica, elles avaient deux l’expérience de leurs prédécesseurs dans leur esprit conscient. Toutes deux pouvaient donc reconnaître que, dans l’une des langues ancêtres du Gallach, la langue officielle de l’Imperium, la première utilisation du procès-verbal provenait du titre d’un livre. Bien que ce titre ait survécu, il était néanmoins instructif : Une relation du départ de Devill Balans hors du corps de la Mère prieuse des Ursulines de Loudun, … avec l’extrait du procès-verbal touchant les exorcismes provoqués à Loudun (1635). Dame Jessica était certainement au courant de cette coïncidence ; Alia la connaissait certainement, mais n’en tint pas compte dans son choix de manœuvres juridiques, et même Perobler ne se hasarda pas à deviner le pourquoi. W.E.M.

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