Procès-verbal
Les
procédures judiciaires, et la menace de celles-ci, joua un grand rôle dans les
crises de l’Impérium, mais aucune n’eut le rôle que tint le Procès-verbal qui
figurait en bonne place dans plusieurs événements cruciaux au début de la
dynastie des Atréides. L’histoire des
procès-verbaux de Bergen Perobler (Revue numéro 3 de l’examen de la loi
73 : 35, 1147-76), l’article le plus original sur l’histoire de la
jurisprudence de cette génération, dont est extrait la base du présent article.
La
difficulté pour l’historien juridique commence avec le Trésor de Rakis :
plusieurs cristaux se réfèrent au procès-verbal qui, tout d’abord, était
compris comme un rapport semi-formel alléguant une infraction contre l’Imperium
(comme par exemple, Les Commentaires
de Stilgar, mais cette définition fut rapidement rejetée par les
premiers juristes qui étudièrent les traductions. Se rendant compte que dans
chaque culture, la terminologie commettait des erreurs de précision, ces
experts se demandèrent comment on pourrait « trouver un compromis entre
une allégation verbale libre et une accusation formelle de crime » ;
(Mahmut al-Saudin, Les procédures des
magistrats de district, 353, Rakis réf. cat. 11-R3433). Dans toutes les
sociétés, après discussion, une charge de crime était effectuée ou pas
effectuée. Au sens légal, aucun statut ne pouvait-être murmuré, venir de
rumeurs ou d’autres choses de ce genre.
Par
ailleurs, la recherche sur les plus anciennes significations du procès-verbal
n’avait pas fait la lumière sur la question. Il ne fait aucun doute maintenant
que le terme « franzh » est d’origine terrienne, mais son sens (voir
Perobler, 1150) était précis : « un exposé des faits écrits,
authentifié par l’appui d’un crime ou d’une autre charge ». Perobler
citait donc un point de droit qui semblait anormal dans l’histoire de
l’Imperium et dont les membres étaient, en règle générales, scrupuleux au point
d’être fanatiques dans l’observation, minutieux même dans la plus petite loi
formelle : le sens précis d’un terme avait, d’une certaine manière, été
délibérément changé pour couvrir une situation en état de faillite, pourtant,
le système judiciaire entier employa le terme de manière tellement familière
qu’il semblait compris.
Et
il y avait un autre problème : en dépit de l’adjectif habituellement
appliqué – « libre », « informel »,
« semi-formel » - la simple mention d’un procès-verbal était
terrifiante. Le siridar-baron Vladimir Harkonnen avait momentanément paniqué
lorsqu’il fut fait mention qu’un procès-verbal pourrait être porté contre lui
(le Comte Hasimir Fenring, Rapport
Impérial confidentiel 10 :192-8-13 ; Rakis réf. Cat. L723-3) ; de même, le procès-verbal
d’Alia contre les fedaykin avait conduit le groupe endurci dans les batailles à
devenir souterrain (mais dans ce cas, Alia étant la Régente Impériale, son
rapport – lui-même – était un stratagème pour masquer une action tyrannique).
Si le procès-verbal n’était pas une accusation formelle de crime, pourquoi
était-il tant redouté ? Beaucoup soutinrent, par erreur, que le terme
avait été mal traduit, car le pire que pouvait faire un tel rapport était une
surveillance accrue de la personne contre laquelle le procès-verbal portait.
L’idée
qui avait conduit à la solution de Perobler à ses problèmes, était une
hypothèse que les gens comme Harkonnen et Alia, tout en étant conscients de la
puissance des mots, ne se souciaient pas des mesures qui pouvaient être prises.
Il abandonna donc l’idée universellement répandue que le procès-verbal était
une question de procédure juridique, et au lieu de l’hypothèse que c’était un
délit, ce n’était qu’une action illégale. Pourtant, il fut clairement estimé
que le procès-verbal était quelque chose d’énoncé ; donc, pour que les
mots soient des actions, ils devaient être d’un type particulier, des mots
appelés « performatifs ».
Les
mots performatifs étaient étudiés dans les classes comme une logique
élémentaire, depuis l’époque du philosophe de l’ancienne Terre, J.L. Austin
(probablement le Saint-Augustin cité par Dame Jessica) : les performatifs
sont ces adjectifs qui, quand on les cite, constituent une action. Par
exemple : « je promets de bien me tenir », en parlant dans des
circonstances appropriées, ils sont en fait une promesse ; quand on dit
« je vous parie cinq souverains », les mots ne décrivent pas un pari,
ils constituent un pari. D’autres exemples comprennent des vœux de mariage, des
legs et autres choses du même genre. Par conséquent, dans la plupart des
systèmes juridiques, durant des milliers d’années, l’énoncé d’un rapport performatif
était admis comme une preuve, car il était considéré non pas comme un rapport
des dires de quelqu’un (les ouï-dire étaient irrecevables), mais comme la
preuve d’une action, de ce que quelqu’un a fait. Suite à son intuition,
Perobler commença à enquêter sur les dossiers Summa de la Cour impériale, il
recherchait des décisions établissant que des performatifs avec des
conséquences juridiques existaient.
Comme
le savent maintenant les historiens légaux, Perobler découvrit une telle
décision (l’Imperium contre Meljacanz, S.I.C. Sidir XX, 9670). Sidir XX, le
soixante-troisième empereur de la Maison Corrino, avait proclamé une loi
interdisant les fausses accusations de trahison l’année précédente. Meljacanz
était un marchand qui avait propagé certaines rumeurs sur un concurrent, Agnan.
A sa grande surprise, Meljacanz ne se retrouva pas devant un tribunal civil
pour répondre d’une accusation de diffamation, mais devant une cour criminelle,
poursuivit en vertu de la loi nouvellement promulguée. En appel, la cour summa
jugea que les paroles de Meljacanz constituaient une accusation qui allait dans
le sens du procès-verbal. Bien qu’Agnan ne fût pas présent lorsque les paroles
avaient été prononcées, ses témoins avaient entendu et leurs témoignages ne
furent pas considérés comme un ouï-dire par le tribunal, mais comme un
compte-rendu de ce que Meljacanz avait fait. Ils décidèrent que son accusation
était performative.
En
un siècle, cette décision fut pervertie, passant d’un dispositif contre la
diffamation à un subtil moyen d’oppression. En vertu de l’ancienne loi
impériale, si A accusait B de trahison, B pouvait refuser de se rendre à la
barre comme témoin, en revendiquant l’antique protection contre
l’auto-incrimination. Maintenant que la cour summa avait involontairement jeté
de nouvelles bases, A pouvait être accusé de trahison orale (au moyen d’un
procès-verbal anonyme ; ces documents, par un humour tordu, dans la
tradition juridique, étaient généralement attribués à « Agnan,
l’inconnu ». Pour se défendre de cette accusation, A convoquait B comme
témoin de son innocence. Si B refusait de se rendre à la barre, une requête
était adressée à la cour déclarant que B était un témoin réticent. A partir de
là, B ne pouvait pas refuser de témoigner sans risquer un outrage au tribunal,
B était donc obligé de se présenter à la barre et il n’y avait aucun appel. B
ne pouvait plus, s’il allait à la barre, empêcher la présence d’un observateur
ayant la transe de vérité.
Dans
un cas découvert par Perobler, une victime fut emprisonnée sous l’inculpation
d’outrage au tribunal pendant 68 ans, il mourut sur Salusa Secundus. Après que
B ait été retiré du tableau, « A pouvait alors exiger d’être confronté à
son accusateur » ; puisqu’Agnan ne pouvait être retrouvé (puisqu’une
telle personne ne pouvait exister), le tribunal ne pouvait pas rejeter
l’affaire – ce qui permettait à B d’être libéré – mais pouvait lui permettre de
suspendre la procédure jusqu’à ce qu’’Agnan soit retrouvé, libérant A de son
propre engagement. L’informateur impérial tristement célèbre, Elson Ketrer,
avait été ainsi libéré 201 fois avant d’être assassiné en 10075.
Nous
comprenons maintenant beaucoup plus clairement la peur du Baron. Le Comte
Fenring le menaçait indirectement d’avoir recours à un tel procès-verbal
anonyme contre lui (n’étant pas signée, une telle accusation méritait
l’adjectif « libre »). Si la cour était saisie, Fenring aurait
ensuite appelé Harkonnen comme témoin de la défense et le baron aurait été pris
dans un dilemme : si Harkonnen avait refusé de témoigner, il aurait pu
être incarcéré pour outrage ; s’il avait témoigné devant un observateur en
transe de vérité, il aurait certainement révélé des choses suffisantes pour
être accusé de multiples charges impériales.
Malgré
ce morceau d’érudition brillant et intuitif, Perobler sentit que ce qu’il avait
trouvé ne pouvait toujours pas expliquer entièrement la situation du
procès-verbal d’Alia. Certes, elle ne pouvait pas appeler tous les fedaykin
comme témoin de la défense ; cette ligne d’action aurait été trop, même
pour les tribunaux complaisants de sa Régence. Comme le découvrit Perobler,
Alia ordonna que le procès-verbal avec les charges de crimes contre l’Imperium,
soit établi non pas sur « Agnan », mais contre lui, et signé simplement
« un fedaykin ». Elle ordonna ensuite au tribunal d’établir un acte
d’accusation contre l’individu fedaykin (ainsi, on annulait la fiction) qui
avait porté l’accusation. Tous les fedaykin furent convoqués pour établir
l’accusation anonyme (et ils étaient en effet inexistant). C’est alors qu’Alia
prit soigneusement conscience du comique de la plainte, le procès-verbal
pouvait désigner coupable aussi bien le demandeur que le défendeur.
En
examinant les faits, Perobler mit le doigt sur l’une des plus grandes ironies
de l’histoire. Le procès-verbal d’Alia contre les fedaykin était un stratagème
visant indirectement sa mère. Dans la lutte contre la menace, Dame Jessica
envoya un simple message à Stilgar : « Ma fille est possédée et doit
être mise à l’épreuve » (Les
chroniques de Stilgar, HI 92). Avec ce court message, Dame Jessica
jouait sur le profond dégout que les fremen ressentaient pour la possession par
les esprits, et en même temps il incluait une réponse pour Alia, et seulement
pour Alia – Alia en tant que pré-née et sa mère, la Révérende Mère Jessica,
elles avaient deux l’expérience de leurs prédécesseurs dans leur esprit
conscient. Toutes deux pouvaient donc reconnaître que, dans l’une des langues
ancêtres du Gallach, la langue officielle de l’Imperium, la première
utilisation du procès-verbal provenait du titre d’un livre. Bien que ce titre
ait survécu, il était néanmoins instructif : Une relation du départ de Devill Balans hors du corps de la Mère
prieuse des Ursulines de Loudun, … avec l’extrait du procès-verbal
touchant les exorcismes provoqués à Loudun (1635). Dame Jessica était
certainement au courant de cette coïncidence ; Alia la connaissait
certainement, mais n’en tint pas compte dans son choix de manœuvres juridiques,
et même Perobler ne se hasarda pas à deviner le pourquoi. W.E.M.
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