Atréides,
Leto II : L’Empereur-Dieu de Dune (10209-13724)
Plus vieux que le légendaire Noé, plus divin que tous les messies précédents,
que ce soit Mahomet, son père Paul Muad'Dib ou même Jehanne Butler, Leto II a
prouvé qu’il était plus énigmatique, plus difficile de comprendre que n’importe
quelle figure de l’Histoire de l’humanité, et ce même dans les siècles qui
suivirent sa mort opportune / prématurée, dans des centaines de systèmes
stellaires ou sur des milliers de planètes. Il est un mythe enveloppé dans sa
légende, et il est peut être celui qui a créé à la fois le mythe et la légende.
Nous ne saurons peut-être jamais la vérité sur ce génie erratique, ce prédateur
de la galaxie, ce Dieu à l’aspect vermiforme… les épithètes pourraient être
multipliées de façon exponentielle et nous ne pourrions jamais approcher la
vérité finale.
Quelles sont donc les faits de sa vie ? Né de Paul Muad'Dib, le premier
empereur Atréides,
et de sa concubine, Chani Liet Kynes, il renversa le régime tyrannique de l'Abomination, Alia Atréides, sa tante, revêtit la peau de truites des sables dans un geste que les religieux fondamentalistes ont toujours salué comme l'Incarnation, et régna comme Empereur-Dieu durant plus de 3500 ans. Il mourut dans une chute d'un pont, bien que l'Eglise du Dieu Fractionné affirme que les vers des sables rabougris qui peuvent encore être trouvés dans un petit désert sur Rakis sont des incarnations de Lui - ils utilisent la lettre majuscule - et qu'Il sera de retour sous la forme du grand, terrifiant, majestueux Shai-Hulud, le Vieux Père Eternité, pour restaurer Arrakis, son monde d'origine, et qu’Il mènera les Fremen, ses fidèles disciples, à la grandeur.
et de sa concubine, Chani Liet Kynes, il renversa le régime tyrannique de l'Abomination, Alia Atréides, sa tante, revêtit la peau de truites des sables dans un geste que les religieux fondamentalistes ont toujours salué comme l'Incarnation, et régna comme Empereur-Dieu durant plus de 3500 ans. Il mourut dans une chute d'un pont, bien que l'Eglise du Dieu Fractionné affirme que les vers des sables rabougris qui peuvent encore être trouvés dans un petit désert sur Rakis sont des incarnations de Lui - ils utilisent la lettre majuscule - et qu'Il sera de retour sous la forme du grand, terrifiant, majestueux Shai-Hulud, le Vieux Père Eternité, pour restaurer Arrakis, son monde d'origine, et qu’Il mènera les Fremen, ses fidèles disciples, à la grandeur.
Nous connaissons, bien sûr, l'anarchie qui suivit sa mort, la famine et
de la Dispersion qui mena à notre civilisation actuelle. Mais nous ne le
connaissons pas. Les découvertes de Rakis furent extrêmement utiles dans notre
quête de la connaissance de son époque. Nous avions depuis longtemps étudié et
réétudié les précieux et inestimables Mémoires
volés, mais ils font bien pâle figure à côté de la richesse des matériaux
trouvés dans les excavations de Dar-es-Balat. Ces dernières sont si importantes
que plusieurs décennies s’écouleront avant que leur seul inventaire soit
achevé, pour ne rien dire de leur analyse.
Plusieurs choses sont certaines, concernant l'Empereur-Dieu. Ses
volumineux enregistrements sur dictatel sont largement égocentriques et
manquent complètement d'objectivité. Considérez sa fameuse déclaration, celle
qu'il a réitérée à plusieurs reprises, avant chaque audience : "Seuls les
imbéciles préfèrent le passé!" Pourtant, y a-t-il eu une personne - si
l'on peut se référer à Leto comme une personne - dans les milliers d'années de
l'histoire connue qui ait été si totalement dominé par le passé comme Leto
lui-même ? Sa conversation ne concernait-elle pas continuellement les connaissances qu'il
avait eu avec ses milliers de voix ancestrales ? Ne faisait-il pas
référence, encore et encore, aux légendaires, peut-être mythiques, figures de
l’ancienne Terre, tels que Chaucer ou Alexandre ? Avons-nous oublié la
sagesse – car il s’agit bien de cela, peu importe notre évaluation finale de
Leto - contenue dans les Mémoires volés : « Si vous savez tout de
vos ancêtres, c’est que vous avez été le témoignage personnel des événements
qui ont créé les mythes et les religions de notre passé. Conscient de cela, vous
devez penser à moi comme un faiseur de mythes ».
Quels mythes Leto a-t-il créé ? Tout d'abord, lui-même. Il a créé
plusieurs légendes au sujet de son immuabilité, son omniscience, sa
toute-puissance, sa nature éternelle, et encore d’autres choses. En réalité, ce
n’était que de la force physique brutale de l'adaptation biologique du ver des
sables qu'il tirait l’origine de sa puissance impériale. Il profita de cette
force - et combien de légendes, a-t-il créé de ses capacités surhumaines ! -
pour asseoir sa position d’empereur et terrifier des populations entières. Dès
ce moment, la crainte et la superstition religieuse aveugle, combinée à la
longévité du ver des sables qu’il, était en train de devenir, rendirent son
règne inévitable.
Un des premiers Duncan Idaho, le défenseur avéré des Atréides, se
révolta contre l’autoritarisme croissant de Leto, et s’interrogea sur l'abus
que Leto faisait de cette même loyauté. Idaho- 11099 déclencha la dernière et
pathétique campagne Sardaukar contre l'empereur, un mouvement qui aboutit à la
mort d'Idaho, à la destruction finale des légions impériales, et la fondation
des Truitesses. Des historiens, peut-être certains de ceux incinérés par Leto
sur le bûcher de leurs propres œuvres, remarquèrent la tragique ironie de cette
campagne avortée. La notion même d’Idaho Duncan Idaho menant les Sardaukar haïs
dans une campagne à la destinée malheureuse contre un Atréides aurait pu
fournir matière à une grande tragédie d’Harq al-Harba. Pourtant, nous ne
pouvons pas simplement nous contenter de voir cette action d’Idaho comme une
simple aberration mentale et de la classer dans la même catégorie que la
trahison de l'infâme Dr Wellington Yueh. Nous devrions plutôt envisager les
émotions colossales qui furent nécessaires pour permettre à l'Idaho de
surmonter sa loyauté profondément enracinée, presque génétiquement inculquée,
sa loyauté envers tous les Atréides. Certains historiens révisionnistes furent
en mesure d'expliquer le triomphe de Yueh sur sa conscience par l’incroyable
passion de son amour pour sa bien-aimée Wanna, nous devons donc maintenant
examiner la trahison de Leto - pas celle du Duncan de 13724 - à la morale
Atréides, à sa trahison envers son grand-père, Leto I le duc Rouge, envers son
père Paul Muad'Dib, et envers lui-même.
Leto n’était donc pas honnète, ni avec lui-même, ni avec l’ancienne
lignée des Atréides et son sens de la vérité, de l’honneur et de la dévotion.
Il est impératif de se rappeler qu'il n’était même pas encore un adolescent,
quand il assuma à la fois le trône et la peau des truites des sables. Il n'eut
jamais l'occasion de grandir, de mûrir. Il n’eut jamais une vie normale. Il fut
forcé de surmonter la tentation, épreuve après épreuve. Les luttes pour sa vie
ne furent pour lui que de simples rites de passage avant même qu'il ne fut
adolescent. Et comme un adolescent précoce, il fit preuve du même comportement
ridicule et bizarre que nous pouvons associer à l'adolescence depuis des
siècles. Le professeur Istrafan Koye psychologue de l'Université d’Ix, soutint
de manière tout à fait convaincante, dans son monumental Le dernier des empereurs Dieu (sous-titré Par la grâce de Dieu, Dieu est sauf, 3 vol, Salusa Secundus :
Karshak) que la clé pour comprendre le personnage de Leto est tout simplement qu'il
était un adolescent pour l'ensemble de son règne de 3500 ans et que si l'on
voulait comprendre "Son Annelidité" (l'expression est de Koye) il
fallait l'approcher comme on pourrait aborder tout autre mineur délinquant,
avec un fouet fermement tenu en main. Comment pouvons-nous comprendre les
crises de colère répétées de Leto sur le fait que ses Duncans pourraient être
en désaccord avec lui sur les questions, même insignifiantes ou que son
majordomes pourrait oser prétendre que «Sa Ouroborosité" pouvait parfois
avoir des pieds (ou est le bon mot "segments »?) d'argile.
Qui d'autre qu'un "morveux" pouvait ignorer le décalage qui
éxistait dans sa propre vie entre apparence et réalité, entre l'ombre et la
substance ? Nous savons, par exemple, de ses derniers messages sur le
dictatel enregistrés peu avant sa mort, qu'il avait développé une folle -
certains diraient « adolescente » - passion pour
l’ « incomparable » Hwi Noree. Tout en ayant admis que l'union
sexuelle avec elle était impossible parce que son moi vermiforme avait fait
disparaître ses organes génitaux humains de nombreux siècles plus tôt, il ne
cessait de tourner autour d’elle comme un adolescent. Il n’arrêtait pas de
répéter, comme pour être sûr, qu'il avait ses mémoires ancestrales qui lui montaient
ce qu’était la sexualité effrénée, il le disait encore et encore et encore et
encore, jusqu'à ce qu'un Idaho ou Moneo, même une Nayla avec son adoration
aveugle, lui demande s’il ne protestait pas trop fort. En fait Koye fit valoir
que si la mémoire de la sexualité pouvait soutenir Leto, pourquoi n’avait-il
pas appliqué le même principe à la nourriture en refusant de manger. Si les
souvenirs licencieux de ses mémoires ancestrales avaient pu satisfaire son
besoin sexuel, des souvenirs de banquets gloutons remontant dans le temps
pendant trente siècles ou plus auraient dû satisfaire sa personne physique.
Koye fut également le premier à mettre en évidence les incroyables
contradictions entre le célèbres Sentier d’Or de Leto et son programme génétique,
qui avait pris le relais du Bene Gesserit. Les deux semblaient à des extrémités
opposées de l'échelle : on ne peut pas planifier l’éducation de l'humanité vers
un certain type supérieur et en même temps donner à l'humanité la liberté
essentielle qui est censé être au cœur du Sentier d’Or. Koye alla même jusqu’à
soutenir, avec une certaine justesse, que le Bene Gesserit eut beaucoup plus de
succès avec son programme génétique s’étalant sur plusieurs générations que
Leto avec avec le sien. La Communauté des Sœurs, nous le reconnaissons
maintenant, avait par deux fois, manqué de peu de créer le Kwisatz Haderach :
selon toutes les indications l’enfant de Jehanne Butler, s’il avait vécu,
aurait était le Kwisatz Haderach, mais, malheureusement, son décès retarda son
arrivée jusqu'à Paul Atréides, le père de Leto.
Comment alors peut-on expliquer les excentricités, les faiblesses, les
véritables réalisations du tristement célèbre Empereur-Dieu ? Parce qu'il était
un ver, il ne semble plus humain. Parce qu'il était humain, nous avons tendance
à oublier qu'il était un ver. Cependant, nous ne devons jamais oublier qu'il
était, dans toute la grandeur mystique du mot, le Roi. Il régna sur son royaume
du désert pendant près de quatre millénaires, en essayant de donner naissance à
une civilisation, un peuple et une culture qui n'aurait plus peur d’elle-même.
Un mythe persistant, peut-être vieux de dizaines de siècles, de la
mythique Terre, pourrait aider à expliquer ceci.
C’est le mythe du Roi Pêcheur qui régna
sur une terre désertique, une terre si désolé que les cultures ne poussaient
pas, que les humains ne se reproduisaient pas, et où le désespoir était
endémique. Blessé dans les organes génitaux, le royaume du Roi Pêcheur était
stérile, à la fois pour son dirigeant et pour ses sujets qui attendaient la
venue d'un Rédempteur, un chevalier au cœur pur qui guérirait le roi et
rendrait la fertilité à la terre.
Leto Atréides II était ce Roi Pêcheur. Son désert Arrakeen aurait fait
passer n’importe qu’elle terre désertique, historique ou mythique, pour fertile, en comparaison. Pourtant, sa
vision d'Arrakis était forcément limitée, peut-être à cause de sa jeunesse,
peut-être en raison de sa nature incarnée, peut-être à cause de sa perversité
ou de son manque d'humanité, mise en évidence par son absence d'activité
génitale. Si sa vision de sa planète natale était limitée, il en fut ainsi
également pour l'Imperium. Parce qu'il croyait le Rédempteur de sa planète et
de l'Imperium, il tenta de devenir le chevalier de la pureté particulière qui
pourrait le guérirlui-même.
Il échoua dans un sens.
Il triompha dans un autre.
Il était l’ancien et le futur roi. Sa vision pour sa planète et pour son
royaume échoua parce que, comme Leto fut lui-même plus d'une fois forcé à
admettre, il n’était pas Dieu au sens ultime.
Il réussit parce qu'il mourut, et un Rédempteur se doit de mourir pour
son peuple. Quand il mourut, sa vision limitée du Sentier d’Or disparue avec
lui. Ainsi, après la Grande Famine et la Dispersion, nous sommes maintenant
libres - libres de Leto, libres du Sentier d’Or, et libéré de la menace de
nous-mêmes.
Qui sait ce qui attend au-delà des étoiles ?
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