Atréides
Leto II, en tant qu’énigme.
Leto aurait pris un plaisir extrême à l'idée des générations futures
écrivant des articles encyclopédiques le
concernant. Il aurait certainement eu du mépris pour ces écrivains, de son
vivant, en se vatant d’avoir fait brûlés vifs des historiens sur un bûcher
composé de leurs propres œuvres. Aucun historien n’autait osé prétendre égaliser
les connaissances du passé avec Leto, car, après tout, Leto était directement
responsable de plus de 3500 ans dans ce passé. En outre, compte tenu de son
affirmation selon laquelle il avait en lui les souvenirs de chacun de ses
ancêtres, on peut raisonnablement suggérer que les mots Leto et l'histoire ne
font qu’un.
Le mépris de Leto pour l'histoire et les historiens fournit un indice
quant à la nature de cet homme et ce dieu, de cet ultime inconnu. Dans ses Mémoires Volés, Leto écrivit à propos de
l'histoire :
« Vous ne
comprenez pas l'histoire si vous ne comprenez pas ses courants, ses tourbillons
et la manière dont les meneurs d'hommes s'insinuent dans son flot. Le chef est
celui qui s'efforce de perpétuer les conditions qui requièrent sa présence.
Ainsi, il a besoin de ceux de l'extérieur. Je vous prie d'examiner mon règne
avec soin. Je suis à la fois celui qui domine et celui qui est extérieur. Ne
commettez pas l'erreur de penser que j'ai été le seul à créer une Eglise
représentant l'Etat. C'était mon rôle en tant que chef et je m'appuyais pour
cela sur de nombreux modèles historiques. Quant à mon rôle extérieur, il suffit
de considérer les arts de mon époque. Ils sont barbares. La forme poétique la
plus répandue ? L'épopée. L'idéal dramatique populaire ? L'héroïsme.
La danse ? Effroyablement délaissée. De son point de vue, Moneo a raison quand
il dit que c'est une situation dangereuse. Elle donne libre cours à l'imagination.
Elle permet aux gens de ressentir l'absence de ce que je leur ai ôté. Et que
leur ai-je ôté? Le droit de participer à l'histoire ».
Leto maudit la seule chose qu'il croyait être essentiel à la liberté de
ses sujets. Il usurpa leur droit à se créer leur propre passé, en vivant dans
un présent perpétuel. Les mondes étaient
strictement administrés selon les caprices de l'Empereur-Dieu, et il
etait pour toutes les créatures pensantes que vivre en dehors de ce qu’il
décidait était impensable. Leto était Dieu et, en tant que Dieu, tout était
créé à son image. Avec une telle vision de l'univers, il ne pouvait permettre à
quiconque d'interpréter le passé ou même de le décrire. Seul Leto conaissait le
seul et unique chemin, le Sentier d'Or, et sa possession exclusive du chemin
exigeait qu'il possède toutes les cartes. Le passé, ou au début, du Sentier
d’Or, devait rester entre ses mains parce qu'il était une clé pour ce qu'il
voulait pour l'avenir.
Ainsi, l'attitude de Leto envers les historiens était un mélange de
plaisanterie ironique et de politique tyrannique. D'une part, Leto savait que
ceux qui vénéraient le passé pouvaient en comprendre si peu qu'ils en étaient
risibles dans ce qu'ils prenaient pour la vérité. D'autre part, il ne voulait
pas que qui que ce soit, même par accident, puisse interpréter le passé et
trouve la clé de l'avenir. Comme l'indique ce passage, sa réponse à la nécessité
du mouvement historique fut d'usurper tous les rôles. En devenant le dialecticien
historique, il devint lui-même l'histoire, et, par conséquent, l'avenir.
Quel genre d'être pourrait avoir un ego
tel qu'il oserait concevoir un tel plan ? Quel genre d'être aurait une telle
puissance qu'il pourrait effectivement réaliser ce plan ? La réponse est claire
: seul le vrai Kwisatz Haderach, le mâle Bene Gesserit dont la puissance
organique pourrait combler l'espace et le temps. Leto Atréides était le vrai
Empereur-Dieu de Dune parce qu'il avait été élevé pour endosser ce rôle.
En appelant Leto II le vrai Kwisatz Haderach, il ne devrait pas être
compris que le Bene Gesserit ait eu l'intention de créer Leto ou qu'il avait
une main mise sur le chemin qu'il prenait. Alors que sa grand-mère, la
Révérende Mère Dame Jessica Harkonnen, la concubine de Leto Atréides I, jouât
un certain rôle au début de la vie de Leto, elle le fit contre les désirs de
son ordre. Pour le Bene Gesserit, Leto et sa sœur jumelle, Ghanima, étaient
tous deux des Abominations. Tous deux étaient pleinement conscients dans le
ventre de leur mère, Chani Liet Kynes, la concubine Fremen de Paul Muad'Dib
Atréides, et les deux se sont éveillés à la conscience remplis des
personnalités et des souvenirs de tous leurs ancêtres. Le Bene Gesserit aurait
préféré que Leto meure car il fut responsable d'un grand nombre de complots
contre l’ordre durant les 3.500 ans, qu’il vécut.
Mais Leto n’était pas une Abomination. Contrairement à Alia Atréides,
appelé précision l’Abomination, Leto apprit à contrôler toutes les
personnalités vivant à l'intérieur de lui et à les utiliser. Il était encore
enfant quand il renversa Alia, puis il fonda un empire qui relégua celui de son
père, Muad'Dib, dans l'ombre.
Aussi incroyable que ces faits puissent paraître, même à ceux qui ont
toutes les raisons de les croire vraies, ils font pâle figure par rapport à la
transformation biologique que Leto subit. Juste avant de renverser Alia, il mena le jeu des enfants Fremen à
l'extrême. Les enfants Fremen s’amusaient à placer les truites des sables sur
leurs mains et les regardaient se mouler sur elles ; ils secouaient alors leurs
mains et pouvaient admirer les truites formant des "gants". Leto,
lui, plaça des truites des sables sur l'ensemble de son corps ne laissant comme
espace libre que sa bouche et son nez. Le résultat fut une force au-delà de
l'imagination et une vie qui dura des siècles. Avec la transformation
d’Arrakis, Leto devint le dernier Shai-Hulud ou du moins, le dernière
Shai-Hulud potentiel.
Considérons alors la combinaison que Leto représentait : il contenait en
lui-même l'histoire complète des mondes, les souvenirs de son père et la
connaissance, et la force de Shai-Hulud, Grand ver des sables d'Arrakis.
Comment était-il possible de croire que Leto était autre chose qu’un dieu ?
Et quel dieu Leto dut-il être, lui qui avait à la fois du sang des
Atréides et des Harkonnen dans les veines, qui avait été élevé dans l’un des
derniers sietchs fremen. Bon nombre de personnalités qui habitaient le corps de
Leto étaient des personnalités fremen, reçues de sa mère, Chani. Ainsi, il est
intéressant de soulever une fois de plus la question précédente : quel
genre d’être possédait un tel ego qu’il oserait même concevoir devenir toute
l’histoire à venir ? Un tel être pouvait être un Atréides, qui tenait de
ses ancêtres une soif de sang non étanchée, même si les Atréides n’étaient pas,
en général, de type cruel ou violent. Le père de Leto était l’un des Atréides
doux. Il ne fut jamais à l’aise avec toutes les actions qui avaient été
commises en son nom. Certains chercheurs ont même suggérés que c’est cet aspect
doux qui avait déterminé la voie qu’avait pris Muad’Dib quand il était parti,
aveugle, dans le désert arrekeen. Il se dégoutait d’avoir été le leader de ce
second Jihad. Mais Leto n’avait pas la même nature que son père. Il avait pu
revêtir la peau des truites des sables, et l’histoire le prouva amplement, Leto
n’hésiterait pas à exercer son pouvoir, même de manière violente.
D’autres êtres pouvaient avoir un ego aussi fort, les Harkonnen. Tout
aussi sanglants que les Atréides, les Harkonnen savaient utiliser le pouvoir.
Ils avaient du talent pour gagner et pour exercer le pouvoir en utilisant les
intrigues diplomatiques impliquant fréquemment d’avoir recours à l’assassinat.
L’arrière-grand-père de Leto, le Baron Vladimir Harkonnen, fut surtout connu
pour la luxure dont il aimait s’entourer et pour sa mort des mains d’Alia
Atréides, mais il faut se rappeler également qu’il fut un génie en matière
diplomatique. Il fut capable de manipuler un certain nombre d’entreprises
commerciales pour rétablir rapidement la puissance de sa famille, après qu’un
de ses ancêtres l’eut détruite par un acte de lâcheté. Compte tenu des luttes
de pouvoir constantes au cours du règne de l’Empereur Padishah Shaddam IV, un
tel exploit fut remarquable. Une fois encore, l’histoire nous révèle que Leto
savait bien comment enfiler le gant de velours de la diplomatie lorsque cela
était nécessaire.
Le troisième individu capable d’avoir un tel ego pouvait être un fremen,
lorsque ce dernier était convaincu que ce qui était en jeu était le tau de son
sietch. Compte tenu de ce que l’on connaît de la culture fremen et des
fedaykin, il est difficile de ne pas voir le caractère résolu de Leto comme une
expression de la dévotion fremen à la communauté. Leto inventa le Sentier d’Or,
mais il y croyait réellement. Pour lui, il était le seul vrai moyen de
préserver les mondes d’une destruction massive. Un fremen, face à une
potentielle destruction de son sietch, aurait utilisé tous les moyens à sa
disposition pour préserver le tau. Leto agit pour préserver le tau de
l’humanité, mais les moyens à sa portée dépassaient, de loin, ceux à la disposition
d’un simple fremen. Enfin, le quatrième être doté d’un tel ego :
Shai-hulud, « Le Vieil Homme du Désert », « Le vieux Père
Eternité » ou « Le Grand-Père du Désert ». Shai-hulud, il ne
s’agit pas ici, d’un quelconque vers des sables d’Arrakis ou de ceux rabougris
qui existent maintenant sur Rakis. Non, il s’agit du terme Shai-hulud que les
fremen utilisaient pour personnifier les forces élémentaires de la planète, ces
forces qui étaient si grandes, si écrasantes, qu’elles résistaient au temps.
Shai-hulud était, pour les fremen, la seule vraie force éternelle. Les pouvoirs
de Shai-hulud étaient si vastes, si incroyables, que les fremen les croyaient
au-delà de la raison. Shai-hulud ne vivait que pour lui-même, indifférent et
incapable de comprendre les pauvres créatures qui partageaient son monde. Et
Leto était également capable d’une telle indifférence monumentale. Monéo
Atréides, le dernier intendant de l’Empereur-Dieu, avait souvent vu Leto dans
ce type d’humeur. Il appelait cela : « Les soubressauts du ver ».
Atréides, Harkonnen, Fremen, Shai-hulud – tous pouvaient posséder un ego
suffisant pour oser devenir l’histoire et l’avenir de l’univers. Mais Leto
était tous les quatre ; il avait osé parce que cela était une partie
essentielle de sa nature. Leto n’avait eu aucun choix. A cause de ce qu’il
était, il était destiné à réussir là où son père avait échoué pour devenir le
vrai Kwisatz Haderach. Et parce qu’il était destiné à être le Kwisatz Haderach,
il devait forcément devenir l’Empereur-Dieu car ils sont tous deux une seule et
même chose.
Une seconde citation des Mémoires Volés illustre bien ce point :
« Quand
j’ai entrepris de guider l’humanité sur mon Sentier d’Or, je lui ai promis une
leçon dont ses morts se souviendraient. J’ai connaissance d’un schéma profond
dont les humains nient l’existence dans leurs paroles tout en la confirmant
dans leurs actes. Ils disent rechercher la sécurité et le calme, cet état de
choses qu’ils appellent la paix. Mais en même temps qu’ils parlent, ils disséminent
les graines du désordre et de la violence. Et s’il leur arrive d’atteindre leur
fameuse sécurité tranquille, ils s’y contorsionnent désespérément, prisonnier
d’un incommensurable ennui. Regardez-les donc ! Voyez à quoi ils
s’occupent pendant que j’enregistre ces paroles. Ha ! Je leur ai donné des
millénaires d’une tranquillité forcée qui persiste malgré tous les efforts
qu’ils font pour retomber dans le chaos. Croyez-moi, le souvenir de la Paix de
Leto les marquera à jamais. Après cette leçon, ils ne chercheront plus leur
sécurité tranquille qu’avec d’infinies précautions et une préparation
soigneuse ».
Dans ce passage, on retrouve les quatre personnages. Ici, on peut voir
le cynisme des Atréides, la joie dans les stratagèmes de manipulation des Harkonnen,
la rude vision du monde des Fremen et le rire de Shai-hulud. Pas étonnant
alors, que tant de savants proposent tant de différentes versions de Leto
Atréides II. Certains voient en lui un tyran assoiffé de sang, qui aimait à
jouer avec les gholas Duncan Idaho à travers un sens pervers du « bon
vieux temps ». D’autres le voient comme un politicien corrompu, passant
son temps en plaisirs obcènes avec Hwi Noree. D’autres encore voient Leto comme
le professeur, compatissant mais dur, de l’humanité, instruisant Siona Atréides
à reprendre le flambeau et à mener l’humanité toujours plus loin sur son
Sentier d’Or. Et enfin, certains le voient comme Dieu riant de toute sa
création, simplement parce que cela était son bon plaisir.
Lorsque Leto tomba du pont pour se dissoudre dans l’eau en dessous, qui
ou quoi mourut ? C’est un Atréides qui mourut, et un membre de la Maison
Harkonnen, et un fremen, et Shai-hulud, et c’est aussi la synthèse de tous, le
Kwisatz Haderach. Chacun mourut seul et comme une entité unifiée parce que
c’est ainsi que Leto vécut. Il était guerrier, hédoniste, enseignant et dieu.
Aucune chose qu’il fit ne le fut pour une seule raison, mais chaque action
avait été faite pour plaire à chaque personnalité qui vivait en lui. Aucune ne
sera jamais Leto Atréides II, l’Empereur-Dieu de Dune. Le mieux que l’on puisse
espérer est que l’humanité comprenne pourquoi une telle connaissance est
impossible.
Autres références:
- Atreides, Paul Muad'Dib;
- Kwisatz Haderach;
- Leto Atreides II, Mémoires, RRC 65A-302, RRC 70A-392;
- Herk Elanus, L’arbre des Atréides 5 v. (Caladan: Apex);
- Gwenewera Apturos, Vie de famille de l’Empereur-Dieu, (Tleilax: Mental).
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