lundi 12 décembre 2016

Yueh, Wellington (10082-10191)



Yueh, Wellington (10082-10191)
  Le plus célèbre diplômé de l’école de médecine Suk. Les chercheurs n’ont pu réunir que peu de faits essentiels concernant sa vie. Mais nous sommes sûrs qu’il mourut en 10191, lors du raid Harkonnen sur le bastion du Duc Leto Atréides sur Dune, et que Yueh fut marié à une adepte Bene Gesserit nommée Marcus. Tout ce qui concerne cet homme semble n’être que litiges, conjectures, hypothèses, et dans beaucoup de cas, les reconstitutions politiques d’anciens chroniqueurs intéressés. Par exemple, Yueh semblait avoir été conditionné par le Haut Collège Impérial. Toutefois, le professeur Eisor Zhurcia, l’historien en médecine de l’époque et l’apologiste des Suk, affirmait que Yueh n’avait jamais obtenu le diplôme en conditionnement impérial Suk ou d’un quelconque programme médical[1]. Zhurcia soutenait que les transcriptions sur Yueh et autres dossiers académiques avaient été forgé et que les documents sur son cursus avaient été fabriqués. Zhurcia soutenait que agents Harkonnen avaient implanté ces documents falsifiés dans le bureau du greffe de la faculté de médecine et aux archives de la bibliothèque afin de tromper Leto Atréides et son mentat, Thufir Hawat, car ils étaient sûrs qu’il vérifierait l’authenticité de Yueh dès lors que l’Atréides aurait envisagé d’acheter le médecin Suk. Le plan des Harkonnen, selon la reconstitution théorique de Zhurcia, Yueh avait été formé comme saboteur et assassin pour infiltrer la Maison des Atréides.
  Quelques chercheurs contemporains, accréditent aujourd’hui la théorie de Zhurcia, qui fut largement acceptée par plusieurs Maisons Mineures durant les premières années du règne de Paul Muad’Dib. Nous savons maintenant que Yueh possédait une quantité considérable de dons médicaux et de sensibilité humaine. Ces caractéristiques, pour la plupart, allaient à l’encontre de ce que l’on peut trouver chez les saboteurs et les assassins. L’opinion actuelle veut que Yueh ait été diplômé du Haut Collège Impérial avec conditionnement Impérial, aux environs de 10112. Yueh en vint donc à être considéré comme le cas paradigmatique de l’échec fatal du conditionnement Suk. Le rôle réel de Yueh dans la chute du Duc Leto Atréides est difficile à déterminer à cause des rapports contradictoires et incomplets. Même les journaux de la famille Atréides concernant ces jours tragiques et mouvementés, ne sont pas clairs. La version la plus ancienne publiée, sur le rôle de Yueh, se trouve dans le Rapport Irulan, écrit par l’épouse de Paul, la Princesse Irulan Corrino[2], largement utilisé et très populaire. Dans ce compte-rendu, Yueh est décrit comme le « traître du Duc Leto Atréides » (p. 81). Bien qu’il soit clair qu’Irulan ne pouvait pas avoir été présente au moment de la trahison présumée, elle affirme que la position officielle de la famille Atréides est que le rival, le Baron Harkonnen, n’aurait probablement pas pu agir contre la Maison Atréides sans l’aide d’un infâme traître.
  Apparemment Paul Muad’Dib ne pris jamais position publiquement sur Yueh, mais il n’ait pas contreditles allégations d’Irulan. Par conséquent, on peut en déduire qu’il était d’accord que Yueh soit considéré comme un traître. Bien que le jeune Paul appréciait Yueh et que Yueh ait ressenti une affection filiale pour le jeune Atréides (au point même d’offrir un cadeau spécial à Paul, une Bible Catholique Orange, que possédait l’épouse bien-aimée de Yueh, Wanna) il semble que Paul ait cru d’emblée que Yueh était un traître ou, comme beaucoup avancèrent, que Paul ait trouvé d’autres intérêts dans l’Empire et dans sa nouvelle religion, pour mettre de côté ses affections d’enfance et entretenir l’idée que Yueh était effectivement un Judas. Le Prêcheur d’Arrakis, mystérieux et iconoclaste, que nous savons aujourd’hui être Muad’Dib, avait dit : « Chaque religion a besoin de son Judas comme mal, comme elle a besoin de ses saints ».[3]
  Que les prêtres du temps d’Alia aient considéré Yueh comme le traître Atréides, est clair. Pendant leurs inquisitions systématiques des vues hérétiques de leurs rivaux politiques et religieux, les ixiens, la Prêtrise d’Alia condamna à mort un certain nombre de chercheurs et d’historiens pour leur franc-parler. L’un d’eux, Bronso d’Ix, fut accusé de nombreux crimes de trahison. La Prêtrise accusait Bronso de maintenir que Yueh était simplement une victime innocente d’une rivalité économique et politique féodale classique. Bronso avait vu que Yueh n’avait aucune valeur militaire possible, aussi bien pour les Harkonnen que pour les Atréides. Il nota que les principales préoccupations de Yueh, durant ses dernières années, furent pour le bienêtre médical des Atréides et leurs sujets sur Caladan. Il était également préoccupé, en grande partie, par le souci de la sécurité de sa femme, Wanna, que les Harkonnen avaient pris comme prisonnière politique environ sept ans avant la mort de Yueh.
  Bronso maintenait cependant, que Yueh connaissait assez les façons Harkonnen pour se rendre compte que Wanna ne pouvait pas avoir survécu plus de quelques mois à sa captivité[4]. Comme preuve, Bronso note que Yueh avait traversé une dépression spirituelle et émotionnelle prolongée. Il participa à des séances de conseils psychologiques, après quoi il tint personnellement un service commémoratif pour Wanna, afin d’accepter son décès. Tout cela avait eu lei au domaine familial des Atréides sur Caladan, trois ans avant que la famille ne reçoive l’ordre de quitter Caladan pour Dune.
  La portée politique des revendications introduites par Bronso ne fut pas perdue par la prêtrise d’Alia qui était dogmatiquement investie dans l’idée que le motif de Yueh pour avoir trahi le Duc Leto était de gagner la liberté de Wanna, détenue par les Harkonnen. L’opinion de l’homme était semblable, mais clairement plus sophistiquée, comme on pouvait l’attendre d’un quasi adepte du Bene Gesserit. Irulan soutenait que le motif de Yueh n’était pas la liberté de Wanna, mais de mettre fin à ses doutes concernant sa mort.
  Bronso maintint, jusqu’à sa mort, que Yueh était innocent. La Prêtrise, agissant apparemment sous les ordres d’Alia, réduisit Bronso au silence en affirmant qu’il faisait partie d’un complot ixien visant à saper l’Empire. Elle livra ensuite quelques preuves peu concluantes, que cette étude avait pu découvrir. Un fragment d’un compte-rendu d’un transport de la Guilde fait mention de « quatre sardaukar et d’une femelle Bene Gesserit… »[5] Ce groupe de cinq personne aurait voyagé jusqu’à Caladan environ quatre mois avant que Yueh et le reste de la Maison ne partent pour Dune ; ils ne passèrent qu’une soirée sur Caladan. Or, à cette date, on sait que Yueh avait quitté le domaine familial pour une visite d’inspection médicale dans un village proche du lieu où la navette de la Guilde avait débarqué. La Prêtrise avait utilisé ce petit fragment pour affirmer que Yueh avait rejoint le transport de la Guilde et avait vu Wanna vivante, sous bonne garde. Après avoir vu son aimée, Yueh aurait accepté de trahir la Duc Leto, pensant ainsi qu’il pourrait libérer son épouse.
  Il est impossible de confirmer ou de nier l’authenticité du fragment de la Guilde. Les factures de transport auraient été faciles pour la bureaucratie religieuse, à obtenir ou falsifier. Mais le plus intéressant est le contexte dans lequel ces mots étaient apparus. Peut-être que le mot manquant n’était pas « Gesserit » mais « Tleilax ». Quelques chercheurs avaient suggéré que la cinquième personne dans le groupe, s’il y avait jamais eu un tel groupe, n’était pas Wanna mais un danseur-visage tleilaxu, peut-être engagé par les Harkonnen pour tromper Yueh. Yueh, qui n’avait pas été formé à détecter les danseurs-visage, ne se serait jamais douté de la supercherie[6].
  Le point de vue Atréides que le conditionnement impérial de Yueh avait échoué et qu’il avait trahi le Duc, fut partagé par Alia dans sa jeunesse et dans les premiers jours de sa Régence. Mais vers la fin, son avis semblait avoir changé radicalement. Elle aurait confié à ses gardes personnelles qu’elle considérait Yueh comme un héros qui serait mort en défendant son Duc. Le fait qu’elle était « possédée » par la persona du Baron Harkonnen est sans doute au cœur de ce changement. Thufir Hawat pensait également la même chose. Peu avant sa mort, alors qu’il voyageait sur Dune dans l’entourage des Harkonnen et des Corrino, il dit à Irulan qu’il avait soupçonné Dame Jessica d’être le traître. Hawat pensait apparemment  que Yuehavait été tué en défendant la famille Atréides.
  Alors que pouvons nous retenir ? Alia et Hawat étaient des témoins peu fiables. Muad’Dib n’avait jamais parlé publiquement de la question. Irulan était trop désireuse de plaire aux Atréides. La prêtrise était soucieuse de préserver son autorité religieuse. Bien que sur de lui, Bronso, au fond, ne faisait que spéculer, et comme tout ixien, il était hostile aux Atréides. Les apologistes de l’école Suk étaient simplement désireux de se débarrasser du scandale de Yueh.
  Même une analyse rétrospective des motifs possibles de Yueh est impossible, étant donné la confusion dans laquelle il était sur la mort ou non de Wanna. En fin de compte, revenons sur l’acte même de trahison. Quand s’était-il produit ? Qu’avait réellement fait Yueh ? Quelles étaient ses pensées à l’époque ? Et, y avait-il jamais eu la prétendue « confrontation finale » entre le Duc Leto et le Baron Harkonnen ? Si effectivement il y avait eu une telle confrontation, aucun témoin n’avait vécu assez longtemps pour enregistrer avec précision et sans partialité ce tournant dans l’histoire humaine. Nous pensons que nous pouvons probablement exclure l’hypothèse d’Irulan selon laquelle Yueh était un traître malveillant, ainsi que l’interprétation Suk selon laquelle il était un assassin. Nous sommes alors confrontés à trois autres possibilités : la folie, l’incompétence et l’amour.
  On avait prétendu que Yueh était aliéné, et qu’il avait été conduit à la folie par les messages contradictoires des Harkonnen concernant Wanna. Cette théorie, avancée par le criminologue de Leto II, Duncan Idaho-11736, maintenait que le mentat du Baron Harkonnen, Piter de Vries, avait développé une méthode pour conduire Yueh à la folie, et ainsi faire échouer son conditionnement impérial[7]. Nous avons la preuve que les Suk des temps anciens connaissaient les dangers que pouvait entrainer la folie, et ils mettaient en garde tous ceux qui achetaient des médecins Suk avec le conditionnement, que ce dernier ne pouvait être garanti si le médecin devenait fou. Les acheteurs étaient avisés des signes révélateurs de la folie. Dans le cas de Yueh, il avait eu une dépression sur Caladan, précédemment citée. Cependant, il n’y avait eu aucun signe de rechute et aucun autre signe de folie dans le comportement de Yueh. Néanmoins, Idaho soutenait que cette rencontre de Yueh avec le danseur-visage, peu avant son départ de Caladan pour l’inhospitalière Dune, avait été le choc qui l’avait rendu fou. Après cela, les actions de Yueh vers la trahison n’avaient rien à voir avec la haine mais, dans sa folie, il doutait et était devenu paranoïaque et maniaque. Idaho regrettait que son ancien Moi, l’Idaho original, ait tellement été préoccupé par les préparatifs en vue de partir sur Dune, qu’il n’avait pas pu détecter la folie de Yueh. L’évidence de cette interprétation est que la folie de Yueh et son complot aient pu passer inaperçus à la famille Atréides au complet, y compris Paul, Hawat le mentat et Jesssica l’adepte Bene Gesserit. Que cette folie ait pu passer inaperçue pendant si longtemps est peu probable. D’autre part, que Leto II ait permis à Idaho  d’avancer un tel point de vue, donne une certaine crédibilité, d’autant plus que Leto II était renommé pour être omniscient.
  La seconde hypothèse, difficilement crédible, fut proposée plus tard par l’une des descendantes de Siona, Ritah[8]. Ritah maintenait que Yueh était désespéré face aux faux espoirs de survie de Wanna, mais qu’il était parfaitement sain d’esprit, et que personne dans la Maison des Atréides ne soupçonnait Yueh de trahison. Ritah faisait un portrait de Yueh en le dépeignant comme un homme velléitaire, confus, désespéré et solitaire, qui aurait fait n’importe quoi pour découvrir la vérité. La position de Ritah était sévère ; elle se moquait de Yueh en disant qu’il ne fallait pas être mentat pour savoir sans aucun doute que Wanna ne serait jamais libérée. De plus, Yueh était un complet imbécile en ignorant que par son acte de trahison, toutes sortes de conséquences néfastes en découleraient et rejaillirait sur les Atréides. Selon Ritah, Yueh devait être tenu individuellement et personnellement pour responsable de la chute de Duc Leto, de la prise de Dune par les Harkonnen, de la mort de nombreux sujets loyaux Atréides et de la ruine définitive de la réputation de l’école Suk.
  Le troisième point de vue issu du journal de Nayla[9], est que Yueh avait agi par amour, mais une passion désespérée et erronée. On peut voir en Yueh, comme en Nayla, de profondes tensions personnelles entre des impératifs contradictoires. Pour obéir à son conditionnement impérial, il devait être loyal à la personne dont il surveillait le bienêtre médical. Mais le conditionnement impérial de Yueh ne précisait pas exactement qui était cette personne. Les années passant dans la facilité de Caladan, Yueh servit confortablement le Duc Leto et sa famille. Mais quand Wanna lui fut arrachée, il sombra dans le désespoir et la confusion. Finalement, son amour pour Wanna et son amour pour son Duc se déplacèrent dans des directions opposées, contradictoires. Il n’agissait pas comme un aliéné, ni comme un homme fou, mais comme un amant qui ne peut sauver qu’une seule des deux personnes qu’il aime le plus. Il espérait sauver Wanna, croyant peut-être que quoi qu’il fasse il n’aurait pu sauver le Duc Leto des forces supérieures Harkonnen. Nous savons que son amour l’amena à donner sa vie pour aider Dame Jessica et Paul à échapper au piège Harkonnen.
  Quelles qu’aient été ses véritables motifs et ses actions, sans le rôle crucial de Yueh, il n’y aurait pas eu de Paul Muad’Dib, pas de chute de la dynastie Corrino, pas d’ascension des fremen, pas de libération d’Arrakis, ni même le Grand Empereur-Dieu Leto II et la Dispersion dans laquelle l’humanité fut libérée de son destin unitaire. Par un amour égaré, Yueh avait mit en branle ces évènements qui nous menèrent le long du désert des anciennes rivalités féodales, en une longue paix et au Sentier d’Or de l’Empire des Atréides. P.F.


[1] Th. Eisor Zhurcia, La grande mascarade : Yueh et les Atréides (10200 ; RPT lib. Conf. Série temp. 582).
[2] Publié sous son titre provisoire, Analyse : la crise Arrakeen, trans. Doorsh Suuxaa, études d’Arrakis 20 (Grumman ; les mondes unis).
[3] Cité dans l’arrêt rendu par le naib Guaddaf à Arrakeen, Rakis ref. chat. 29-Z182.
[4] Voir le chapitre 2 de son Impérium Atréides, lib. Conf. Temp. Série 70.
[5] Proclamation de la Qizarate 10.15.10210, trouvée sur Rakis, ref. cat. 99-T106. Le compte-rendu cité porte un numéro de transport de la Guilde partiellement effacé « …/CAL 44281 » : les trois tirets marquent l’abréviation de la position d’origine. Evidemment, si cette abréviation avait été « GIP », cela aurait été Giedi Prime, une thèse envisagée ; si elle avait été « TLE » pour Tleilax, cela aurait été une autre hypothèse.
[6] Ce compte-rendu de transport fragmentaire est un casse-tête pour les historiens car il soulève plus de problèmes qu’il n’en résout. Si l’on lit à l’origine « et une femelle Bene Gesserit », on remarque quelque chose de superflu : il n’y avait jamais eu de mâle Bene Gesserit. Si l’on lit « et une femelle du Bene Tleilax », et si cette femelle était un danseur-visage qui s’était déjà changé – un exercice rapide – alors le terme n’avait aucune raison d’être : rappelez-vous la devise de la Guilde : « n’importe quoi, à tout moment, n’importe où ». La Guilde Spatiale était liée par la Convention, la tradition et l’intérêt de n’imposer aucune restriction sur la cargaison expédiée.
[7] L’original du rapport avait disparu, mais on trouva une transcription dans le Journal de Leto, Rakis ref. Cat.2-A213. En tant que mentat, Piter de Vries était familier des méthodes des mentats tordus de son propre ordre et pouvait connaître ce qui aurait pu perturber Yueh.
[8] Ritah al-Jofar Nisri Atréides, Facteurs dans la trahison de Yueh, une étude de l’histoire impériale, OS 146 :449-70.
[9] Non que le journal de Nayla (Rakis réf. Cat. 2-A816), bien sûr, ait pu faire référence à Yueh, mais les loyautés divisées des deux partageaient de nombreux traits et la comparaison peut-être instructive.

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