Yueh,
Wellington (10082-10191)
Le
plus célèbre diplômé de l’école de médecine Suk. Les chercheurs n’ont pu réunir
que peu de faits essentiels concernant sa vie. Mais nous sommes sûrs qu’il
mourut en 10191, lors du raid Harkonnen sur le bastion du Duc Leto Atréides sur
Dune, et que Yueh fut marié à une adepte Bene Gesserit nommée Marcus. Tout ce
qui concerne cet homme semble n’être que litiges, conjectures, hypothèses, et
dans beaucoup de cas, les reconstitutions politiques d’anciens chroniqueurs
intéressés. Par exemple, Yueh semblait avoir été conditionné par le Haut
Collège Impérial. Toutefois, le professeur Eisor Zhurcia, l’historien en
médecine de l’époque et l’apologiste des Suk, affirmait que Yueh n’avait jamais
obtenu le diplôme en conditionnement impérial Suk ou d’un quelconque programme
médical[1].
Zhurcia soutenait que les transcriptions sur Yueh et autres dossiers
académiques avaient été forgé et que les documents sur son cursus avaient été
fabriqués. Zhurcia soutenait que agents Harkonnen avaient implanté ces
documents falsifiés dans le bureau du greffe de la faculté de médecine et aux
archives de la bibliothèque afin de tromper Leto Atréides et son mentat, Thufir
Hawat, car ils étaient sûrs qu’il vérifierait l’authenticité de Yueh dès lors
que l’Atréides aurait envisagé d’acheter le médecin Suk. Le plan des Harkonnen,
selon la reconstitution théorique de Zhurcia, Yueh avait été formé comme
saboteur et assassin pour infiltrer la Maison des Atréides.
Quelques chercheurs contemporains, accréditent aujourd’hui la théorie de
Zhurcia, qui fut largement acceptée par plusieurs Maisons Mineures durant les
premières années du règne de Paul Muad’Dib. Nous savons maintenant que Yueh
possédait une quantité considérable de dons médicaux et de sensibilité humaine.
Ces caractéristiques, pour la plupart, allaient à l’encontre de ce que l’on
peut trouver chez les saboteurs et les assassins. L’opinion actuelle veut que
Yueh ait été diplômé du Haut Collège Impérial avec conditionnement Impérial,
aux environs de 10112. Yueh en vint donc à être considéré comme le cas
paradigmatique de l’échec fatal du conditionnement Suk. Le rôle réel de Yueh
dans la chute du Duc Leto Atréides est difficile à déterminer à cause des
rapports contradictoires et incomplets. Même les journaux de la famille
Atréides concernant ces jours tragiques et mouvementés, ne sont pas clairs. La
version la plus ancienne publiée, sur le rôle de Yueh, se trouve dans le Rapport Irulan, écrit par
l’épouse de Paul, la Princesse Irulan Corrino[2],
largement utilisé et très populaire. Dans ce compte-rendu, Yueh est décrit
comme le « traître du Duc Leto Atréides » (p. 81). Bien qu’il soit
clair qu’Irulan ne pouvait pas avoir été présente au moment de la trahison
présumée, elle affirme que la position officielle de la famille Atréides est
que le rival, le Baron Harkonnen, n’aurait probablement pas pu agir contre la
Maison Atréides sans l’aide d’un infâme traître.
Apparemment Paul Muad’Dib ne pris jamais position publiquement sur Yueh,
mais il n’ait pas contreditles allégations d’Irulan. Par conséquent, on peut en
déduire qu’il était d’accord que Yueh soit considéré comme un traître. Bien que
le jeune Paul appréciait Yueh et que Yueh ait ressenti une affection filiale
pour le jeune Atréides (au point même d’offrir un cadeau spécial à Paul, une
Bible Catholique Orange, que possédait l’épouse bien-aimée de Yueh, Wanna) il
semble que Paul ait cru d’emblée que Yueh était un traître ou, comme beaucoup
avancèrent, que Paul ait trouvé d’autres intérêts dans l’Empire et dans sa
nouvelle religion, pour mettre de côté ses affections d’enfance et entretenir
l’idée que Yueh était effectivement un Judas. Le Prêcheur d’Arrakis, mystérieux
et iconoclaste, que nous savons aujourd’hui être Muad’Dib, avait dit :
« Chaque religion a besoin de son Judas comme mal, comme elle a besoin de
ses saints ».[3]
Que les prêtres du temps d’Alia aient considéré Yueh comme le traître
Atréides, est clair. Pendant leurs inquisitions systématiques des vues
hérétiques de leurs rivaux politiques et religieux, les ixiens, la Prêtrise
d’Alia condamna à mort un certain nombre de chercheurs et d’historiens pour
leur franc-parler. L’un d’eux, Bronso d’Ix, fut accusé de nombreux crimes de
trahison. La Prêtrise accusait Bronso de maintenir que Yueh était simplement
une victime innocente d’une rivalité économique et politique féodale classique.
Bronso avait vu que Yueh n’avait aucune valeur militaire possible, aussi bien
pour les Harkonnen que pour les Atréides. Il nota que les principales
préoccupations de Yueh, durant ses dernières années, furent pour le bienêtre
médical des Atréides et leurs sujets sur Caladan. Il était également préoccupé,
en grande partie, par le souci de la sécurité de sa femme, Wanna, que les
Harkonnen avaient pris comme prisonnière politique environ sept ans avant la
mort de Yueh.
Bronso maintenait cependant, que Yueh connaissait assez les façons
Harkonnen pour se rendre compte que Wanna ne pouvait pas avoir survécu plus de
quelques mois à sa captivité[4].
Comme preuve, Bronso note que Yueh avait traversé une dépression spirituelle et
émotionnelle prolongée. Il participa à des séances de conseils psychologiques,
après quoi il tint personnellement un service commémoratif pour Wanna, afin
d’accepter son décès. Tout cela avait eu lei au domaine familial des Atréides
sur Caladan, trois ans avant que la famille ne reçoive l’ordre de quitter
Caladan pour Dune.
La
portée politique des revendications introduites par Bronso ne fut pas perdue
par la prêtrise d’Alia qui était dogmatiquement investie dans l’idée que le
motif de Yueh pour avoir trahi le Duc Leto était de gagner la liberté de Wanna,
détenue par les Harkonnen. L’opinion de l’homme était semblable, mais
clairement plus sophistiquée, comme on pouvait l’attendre d’un quasi adepte du
Bene Gesserit. Irulan soutenait que le motif de Yueh n’était pas la liberté de
Wanna, mais de mettre fin à ses doutes concernant sa mort.
Bronso maintint, jusqu’à sa mort, que Yueh était innocent. La Prêtrise,
agissant apparemment sous les ordres d’Alia, réduisit Bronso au silence en
affirmant qu’il faisait partie d’un complot ixien visant à saper l’Empire. Elle
livra ensuite quelques preuves peu concluantes, que cette étude avait pu
découvrir. Un fragment d’un compte-rendu d’un transport de la Guilde fait
mention de « quatre sardaukar et d’une femelle Bene Gesserit… »[5]
Ce groupe de cinq personne aurait voyagé jusqu’à Caladan environ quatre mois
avant que Yueh et le reste de la Maison ne partent pour Dune ; ils ne
passèrent qu’une soirée sur Caladan. Or, à cette date, on sait que Yueh avait
quitté le domaine familial pour une visite d’inspection médicale dans un
village proche du lieu où la navette de la Guilde avait débarqué. La Prêtrise
avait utilisé ce petit fragment pour affirmer que Yueh avait rejoint le
transport de la Guilde et avait vu Wanna vivante, sous bonne garde. Après avoir
vu son aimée, Yueh aurait accepté de trahir la Duc Leto, pensant ainsi qu’il
pourrait libérer son épouse.
Il
est impossible de confirmer ou de nier l’authenticité du fragment de la Guilde.
Les factures de transport auraient été faciles pour la bureaucratie religieuse,
à obtenir ou falsifier. Mais le plus intéressant est le contexte dans lequel
ces mots étaient apparus. Peut-être que le mot manquant n’était pas
« Gesserit » mais « Tleilax ». Quelques chercheurs avaient
suggéré que la cinquième personne dans le groupe, s’il y avait jamais eu un tel
groupe, n’était pas Wanna mais un danseur-visage tleilaxu, peut-être engagé par
les Harkonnen pour tromper Yueh. Yueh, qui n’avait pas été formé à détecter les
danseurs-visage, ne se serait jamais douté de la supercherie[6].
Le
point de vue Atréides que le conditionnement impérial de Yueh avait échoué et
qu’il avait trahi le Duc, fut partagé par Alia dans sa jeunesse et dans les
premiers jours de sa Régence. Mais vers la fin, son avis semblait avoir changé
radicalement. Elle aurait confié à ses gardes personnelles qu’elle considérait
Yueh comme un héros qui serait mort en défendant son Duc. Le fait qu’elle était
« possédée » par la persona du Baron Harkonnen est sans doute au cœur
de ce changement. Thufir Hawat pensait également la même chose. Peu avant sa
mort, alors qu’il voyageait sur Dune dans l’entourage des Harkonnen et des
Corrino, il dit à Irulan qu’il avait soupçonné Dame Jessica d’être le traître.
Hawat pensait apparemment que Yuehavait
été tué en défendant la famille Atréides.
Alors que pouvons nous retenir ? Alia et Hawat étaient des témoins
peu fiables. Muad’Dib n’avait jamais parlé publiquement de la question. Irulan
était trop désireuse de plaire aux Atréides. La prêtrise était soucieuse de
préserver son autorité religieuse. Bien que sur de lui, Bronso, au fond, ne
faisait que spéculer, et comme tout ixien, il était hostile aux Atréides. Les
apologistes de l’école Suk étaient simplement désireux de se débarrasser du
scandale de Yueh.
Même une analyse rétrospective des motifs possibles de Yueh est
impossible, étant donné la confusion dans laquelle il était sur la mort ou non
de Wanna. En fin de compte, revenons sur l’acte même de trahison. Quand
s’était-il produit ? Qu’avait réellement fait Yueh ? Quelles étaient
ses pensées à l’époque ? Et, y avait-il jamais eu la prétendue
« confrontation finale » entre le Duc Leto et le Baron
Harkonnen ? Si effectivement il y avait eu une telle confrontation, aucun
témoin n’avait vécu assez longtemps pour enregistrer avec précision et sans
partialité ce tournant dans l’histoire humaine. Nous pensons que nous pouvons
probablement exclure l’hypothèse d’Irulan selon laquelle Yueh était un traître
malveillant, ainsi que l’interprétation Suk selon laquelle il était un
assassin. Nous sommes alors confrontés à trois autres possibilités : la
folie, l’incompétence et l’amour.
On
avait prétendu que Yueh était aliéné, et qu’il avait été conduit à la folie par
les messages contradictoires des Harkonnen concernant Wanna. Cette théorie,
avancée par le criminologue de Leto II, Duncan Idaho-11736, maintenait que le
mentat du Baron Harkonnen, Piter de Vries, avait développé une méthode pour
conduire Yueh à la folie, et ainsi faire échouer son conditionnement impérial[7].
Nous avons la preuve que les Suk des temps anciens connaissaient les dangers
que pouvait entrainer la folie, et ils mettaient en garde tous ceux qui
achetaient des médecins Suk avec le conditionnement, que ce dernier ne pouvait
être garanti si le médecin devenait fou. Les acheteurs étaient avisés des
signes révélateurs de la folie. Dans le cas de Yueh, il avait eu une dépression
sur Caladan, précédemment citée. Cependant, il n’y avait eu aucun signe de
rechute et aucun autre signe de folie dans le comportement de Yueh. Néanmoins,
Idaho soutenait que cette rencontre de Yueh avec le danseur-visage, peu avant
son départ de Caladan pour l’inhospitalière Dune, avait été le choc qui l’avait
rendu fou. Après cela, les actions de Yueh vers la trahison n’avaient rien à
voir avec la haine mais, dans sa folie, il doutait et était devenu paranoïaque
et maniaque. Idaho regrettait que son ancien Moi, l’Idaho original, ait
tellement été préoccupé par les préparatifs en vue de partir sur Dune, qu’il
n’avait pas pu détecter la folie de Yueh. L’évidence de cette interprétation
est que la folie de Yueh et son complot aient pu passer inaperçus à la famille
Atréides au complet, y compris Paul, Hawat le mentat et Jesssica l’adepte Bene
Gesserit. Que cette folie ait pu passer inaperçue pendant si longtemps est peu
probable. D’autre part, que Leto II ait permis à Idaho d’avancer un tel point de vue, donne une
certaine crédibilité, d’autant plus que Leto II était renommé pour être
omniscient.
La
seconde hypothèse, difficilement crédible, fut proposée plus tard par l’une des
descendantes de Siona, Ritah[8].
Ritah maintenait que Yueh était désespéré face aux faux espoirs de survie de
Wanna, mais qu’il était parfaitement sain d’esprit, et que personne dans la
Maison des Atréides ne soupçonnait Yueh de trahison. Ritah faisait un portrait
de Yueh en le dépeignant comme un homme velléitaire, confus, désespéré et
solitaire, qui aurait fait n’importe quoi pour découvrir la vérité. La position
de Ritah était sévère ; elle se moquait de Yueh en disant qu’il ne fallait
pas être mentat pour savoir sans aucun doute que Wanna ne serait jamais
libérée. De plus, Yueh était un complet imbécile en ignorant que par son acte
de trahison, toutes sortes de conséquences néfastes en découleraient et
rejaillirait sur les Atréides. Selon Ritah, Yueh devait être tenu
individuellement et personnellement pour responsable de la chute de Duc Leto,
de la prise de Dune par les Harkonnen, de la mort de nombreux sujets loyaux
Atréides et de la ruine définitive de la réputation de l’école Suk.
Le
troisième point de vue issu du journal de Nayla[9],
est que Yueh avait agi par amour, mais une passion désespérée et erronée. On
peut voir en Yueh, comme en Nayla, de profondes tensions personnelles entre des
impératifs contradictoires. Pour obéir à son conditionnement impérial, il
devait être loyal à la personne dont il surveillait le bienêtre médical. Mais
le conditionnement impérial de Yueh ne précisait pas exactement qui était cette
personne. Les années passant dans la facilité de Caladan, Yueh servit
confortablement le Duc Leto et sa famille. Mais quand Wanna lui fut arrachée,
il sombra dans le désespoir et la confusion. Finalement, son amour pour Wanna
et son amour pour son Duc se déplacèrent dans des directions opposées,
contradictoires. Il n’agissait pas comme un aliéné, ni comme un homme fou, mais
comme un amant qui ne peut sauver qu’une seule des deux personnes qu’il aime le
plus. Il espérait sauver Wanna, croyant peut-être que quoi qu’il fasse il
n’aurait pu sauver le Duc Leto des forces supérieures Harkonnen. Nous savons
que son amour l’amena à donner sa vie pour aider Dame Jessica et Paul à
échapper au piège Harkonnen.
Quelles qu’aient été ses véritables motifs et ses actions, sans le rôle
crucial de Yueh, il n’y aurait pas eu de Paul Muad’Dib, pas de chute de la
dynastie Corrino, pas d’ascension des fremen, pas de libération d’Arrakis, ni
même le Grand Empereur-Dieu Leto II et la Dispersion dans laquelle l’humanité
fut libérée de son destin unitaire. Par un amour égaré, Yueh avait mit en
branle ces évènements qui nous menèrent le long du désert des anciennes
rivalités féodales, en une longue paix et au Sentier d’Or de l’Empire des Atréides.
P.F.
[1] Th. Eisor
Zhurcia, La grande mascarade : Yueh et les Atréides (10200 ; RPT lib.
Conf. Série temp. 582).
[2] Publié sous son
titre provisoire, Analyse : la crise Arrakeen, trans. Doorsh Suuxaa,
études d’Arrakis 20 (Grumman ; les mondes unis).
[3] Cité dans l’arrêt
rendu par le naib Guaddaf à Arrakeen, Rakis ref. chat. 29-Z182.
[4] Voir le chapitre
2 de son Impérium Atréides,
lib. Conf. Temp. Série 70.
[5] Proclamation de
la Qizarate 10.15.10210, trouvée sur Rakis, ref. cat. 99-T106. Le compte-rendu
cité porte un numéro de transport de la Guilde partiellement effacé
« …/CAL 44281 » : les trois tirets marquent l’abréviation de la
position d’origine. Evidemment, si cette abréviation avait été
« GIP », cela aurait été Giedi Prime, une thèse envisagée ; si
elle avait été « TLE » pour Tleilax, cela aurait été une autre
hypothèse.
[6] Ce compte-rendu
de transport fragmentaire est un casse-tête pour les historiens car il soulève
plus de problèmes qu’il n’en résout. Si l’on lit à l’origine « et une
femelle Bene Gesserit », on remarque quelque chose de superflu : il
n’y avait jamais eu de mâle Bene Gesserit. Si l’on lit « et une femelle du
Bene Tleilax », et si cette femelle était un danseur-visage qui s’était
déjà changé – un exercice rapide – alors le terme n’avait aucune raison
d’être : rappelez-vous la devise de la Guilde : « n’importe
quoi, à tout moment, n’importe où ». La Guilde Spatiale était liée par la
Convention, la tradition et l’intérêt de n’imposer aucune restriction sur la
cargaison expédiée.
[7] L’original du
rapport avait disparu, mais on trouva une transcription dans le Journal de
Leto, Rakis ref. Cat.2-A213. En tant que mentat, Piter de Vries était familier
des méthodes des mentats tordus de son propre ordre et pouvait connaître ce qui
aurait pu perturber Yueh.
[8] Ritah al-Jofar
Nisri Atréides, Facteurs dans la
trahison de Yueh, une étude de l’histoire impériale, OS
146 :449-70.
[9] Non que le
journal de Nayla (Rakis réf. Cat. 2-A816), bien sûr, ait pu faire référence à
Yueh, mais les loyautés divisées des deux partageaient de nombreux traits et la
comparaison peut-être instructive.
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