Bible Catholique Orange
– dans la vie et l’enseignement de Paul Muad’Dib
L’éducation dans l’enfance de Muad’Dib, alors qu’il était encore Paul
Atrèides, durant ses quinze premières années sur Caladan fut, dans certaines
matières, très étendue alors que dans d’autres elle était limitée. Il n’eut pas
de compagnons de jeux, pour des raisons évidentes de sécurité, et il ne s’était
jamais senti à l’aise avec quelqu’un de son âge, sauf Chani. Il n’avait jamais
été en contact avec la société des péons de Caladan, les cultivateurs de riz
pundi, même s’il avait souvent exprimé de la curiosité pour leur coutumes et
s’il avait même apprit un peu sur leurs pratiques religieuses qui, à bien des
égards, étaient étonnamment semblables à celles des fremen d’Arrakis. Son père,
le Duc Rouge, Leto Atréides, n’était pas très croyant, il maintenait une
indifférence polie, inhérente à sa classe sociale. Sa mère, Dame Jessica, un
adepte Bene Gesserit, avait formé son fils dans le contrôle prana – la
musculature – et le bindu – les nerfs – lui avait enseigné la Litanie contre la peur et lui
avait sans doute transmis une partie de la sagesse incorporée dans le Livre d’Azhar. Cependant, son
intérêt pour le pouvoir avait une base imprécise, son ambition motrice (pour
peu qu’il l’ait comprise) et son sang-froid rigide avaient quelque peu inhibé
l’expression de l’amour maternelle. Deux de ses compagnons-professeurs, Gurney
Halleck et le docteur Wellington Yueh, baignèrent le jeune Paul dans le langage
et l’esprit de la BCO. Gurney
Halleck, un troubadour mais aussi un guerrier, avait toujours une citation prête
pour n’importe quelle occasion. La
réputation de traîtrise du docteur Yueh, dans l’histoire, ne devrait pas faire
oublier la valeur de son enseignement, ni sa gentillesse personnelle ; il
eut la plus douce influence sur son élève et une influence religieuse dans
l’ancien esprit ortho-catholique. C’est Yueh qui offrit à Paul son premier
cadeau, sa copie personnelle de la BCO,
une édition pour les voyageurs de l’espace, au moment où ils étaient sur le
point de quitter Caladan. Paul se souvint, plus tard, de « cette
exposition à la BCO, à un
moment critique ».
Qu’est-ce
qui, dans le don de ce livre imprimé sur filaments, fit entrevoir le but
terrible à Paul ? Il fut rapporté qu’il avait senti son importance presque
aussitôt. Un curieux incident se produisit alors que Yueh montrait à son élève
comment faire fonctionner le livre. Paul était censé lire la kalima 467, mais
l’ouvrage s’ouvrit sur le passage préféré de l’épouse Bene Gesserit de Yueh. Ce
texte (Le crâne noir, vis.99) laisse à penser que nous pouvons tous être sourds
et aveugles sur un autre monde qui nous entoure ; l’imagination de Paul a
pu avoir été réveillé alors, et plus tard avoir pensé qu’il pouvait être le
premier homme choisit pour traverser une perception plus large.
Le
texte que Yueh lui avait demandé de lire, « De l’eau commence toute
vie », et cela refera surface plus tard. Deux choses peuvent être dites
ici concernant la « terrible mission » de Paul.
Tout
d’abord, et de toute évidence, il cita le texte lorsqu’après son duel avec
Jamis, il fut troublé d’accepter l’eau du cadavre du fremen ; Paul aurait
pu avoir l’intuition prémonitoire de ce moment. Deuxièmement, et plus
subtilement, peut être que le texte, dans son association des termes clés
« l’eau » et la « vie », avait pu, de façon subliminale,
suggérer que dans cette seule idée reposaient les moyens d’atteindre ce but.
Plus tard, il ne fut pas en mesure de résister à l’eau de vie (quoique dans un
contexte différent de celui du rite fremen, plus un symbole de la BCO).
Yueh
demanda à Paul de garder le secret sur son cadeau de la BCO car naturellement il ne voulait pas que tout le monde se
demande pourquoi il avait choisi ce moment pour donner ce qu’il avait de plus
précieux. Paul reconnu, peu après son arrivée à Arrakeen, les sources des
citations qui avaient orné ses conversations avec Gurney Halleck, mais il garda
cette information pour lui. Pendant ce temps, il lui était sans doute revenu à
l’esprit les histoires de nombreux prophètes et saints, apôtres et martyrs, consignés
dans les écritures, et surtout il s’attarda longuement sur l’idée du Messie,
comme tous les hommes peuvent le faire pour tout ce qui a trait à dieu.
Muad’Dib avait profondément envie d’être un véritable messie. Au lieu de cela,
il devint un Mahdi, un héros-empereur, et l’instigateur du jihad le plus
destructeur jamais lâché sur l’univers. Depuis ses débuts, la BCO, comme les Testaments avant elle, avait subi
le même paradoxe amer, l’empoisonnement de ce qui était prévu par ce qui
advint.
La
première citation publique de Paul de la BCO
qui pouvait passer comme une remarque courtoise adressée au planétologiste
impérial, Kynes, fut électrisante pour les observateurs fremen. Le texte était
l’Ohashi LXV:13 : « Le
don est la bénédiction du donateur ». Son origine zensunni représentait
peut-être la reconnaissance de Paul parmi les fremen et rappelait aussi les
mots de leur légende messianique « ils vous accueilleront avec des paroles
saintes et vos cadeaux seront une bénédiction ». Il n’y a aucune raison de
supposer que Paul savait déjà que ces paroles présageaient le Lisan al-Gaib.
Ici, comme souvent dans son histoire, on a le sentiment que l’individu est mené
par une force mortelle irrésistible, plutôt qu’il agisse délibérément (la BCO, dans un de ses livres
navachrétiens, a un texte pertinent, l’Avatar
1181 : « Ma langue est simplement une balisette et tu es le
musicien qui joue sur elle. Je suis votre gant de marionnette ; les vôtres
sont vos doigts. J’exprime seulement ce que vous pensez dans votre esprit ».
Un
texte curieux et profond dans la BCO
qui a grandement influencé Paul, comme le sirat avec son image centrale
« le paradis à ma droite, l’enfer à ma gauche et l’ange de la mort
derrière ». Il ressassait cette citation dans son esprit alors que sa mère
se dirigeait prestement le long d’une ouverture étroite vers une caverne sur
les crêtes, échappant ainsi au massacre Arrakeen. Le sirat est un pont étroit
le long duquel nous effectuons notre voyage de vie. Bien que le paradis soit
notre but, nous ne devons pas faire un pas hors du sirat, pour l’atteindre plus
vite ; nous ne devons pas nous permettre d’être pris au piège par les
vrilles de l’enfer. La mort est derrière pour attraper celui qui trébuche. Le
texte dit : « A ma droite il y a des houris, un jardin, des portyguls
chargés de fruits et de fleurs, les deux en même temps ; il y a le sondagi
et l’akarso, les gens sont vêtus de soie et boivent du rachag et il y a de la
gaze sur les tables sous les branches ; là, c’est toujours sihaya. Sur ma
gauche, il y a le djinn dans une saignée de sable brûlant ; Al-Lat brûle
là comme du sang ; Bakka se déverse sur les corps de ceux qui courent là,
boitant, entraînés par la gafla ; il y a encore près de moi des visages
attirant, des yeux comme des opaflammes, ouverts, distrayants,
éblouissants… » Et encore : « Je marche sur le chemin droit et
étroit, entre le yang de la lumière, le yin de l’obscurité ; je suis yang,
je suis yin ; je suis chacun des deux, pourtant je ne suis ni l’un ni
l’autre, je me déplace entre les deux ». Il y a une autre image qui
rappelle souvent le sirat : « Sur la planète Mercure, où le visage
d’Al-Lat est toujours là, il y a une crête : c’est le sirat. D’un côté
tout est chaleur et roches en fusion et le bruit de la vapeur et le bourdonnement
du sable en ébullition ; de l’autre il y a le permafrost, la glace, le
froid, l’obscurité et le silence que seul le tintement des étoiles de cristal
peut rompre. C’est seulement sur la crête qu’on peut se déplacer en toute
sécurité, pendant un petit moment « détendez-vous » dit le sirat,
« détendez-vous et appréciez la vue ». Sur le sirat il y a des lieux
de repos. Pour Muad’Dib il y avait Chani.
Comme
le raconte la Princesse Irulan dans Muad’Dib,
l’homme : Les enjeux religieux, quand Paul bu l’Eau de Vie,
« Il se tenait en équilibre dans une prise de conscience, voyant le temps
s’étirer dans sa dimension bizarre, délicatement équilibré dans son
tourbillonnement, encore étroitement tendu comme un filet, rassemblant
d’innombrables mondes et forces, un fil tendu sur lequel il devait marcher, un
fil chancelant sur lequel il s’équilibrait. D’un côté il pouvait voir
l’Impérium, un Harkonnen appelé Feyd-Rautha qui brandissait vers lui une lame
mortelle, les sardaukars faisant rage hors de leur planète pour étendre le
pogrom sur Arrakis, la connivence de la Guilde dans le complot, les Bene
Gesserit avec leur programme d’élevage sélectif. Ils étaient massés comme des
cumulo-nimbus sur l’horizon, freinés par plus que les fremen et leur Muad’Dib,
les fremen géants endormis prêts pour leur croisade sauvage à travers
l’univers. Paul se sentait au centre, le pivot, là où la structure entière se
tournait, il marchait sur un fil mince de la paix avec une mesure de bonheur,
Chani, à ses côtés. « La relation de Muad’Dib avec Chani, comme celle de
son père avec Dame Jessica, n’était pas légalement établie, mais elle les liait
néanmoins dans le sens traditionnel le plus ancien. Les paroles de réconfort
pour Chani, quand ils rencontrèrent la belle Princesse Irulan « Ce qui
nous lie ne peut être délié » ». Retournons en arrière aux Epîtres et, au-delà d’eux, à la Genèse.
Les
années que Muad’Dib passa parmi les fremen aiguisèrent sa compréhension des
cruelles nécessités de la vie, une compréhension qui ne fut pas beaucoup
atténuée par celle plus profonde qu’il avait acquise avec la religion zensunni
qui, dans les traditions, était plus sunnite (islamique) que zensunni, et dont
l’errance avait rendu la race cruelle. Une compréhension plus philosophique de
la tradition zensunni résulte des conversations de Muad’Dib avec le ghola Hayt
(Duncan Idaho). Le ghola avait été formé par les tleilaxu comme un mentat et un
philosophe zensunni, afin d’accroître, autant que possible, ses capacités à
l’épée (on se rappelle encore la capacité légendaire des samouraïs au combat).
Malheureusement, cette influence encouragea seulement le goût de Muad’Dib pour
l’ironie et l’amour du paradoxe, favorisant la cryptographie croissante de ses
déclarations publiques. Plusieurs remarques du ghola pouvaient évoquer des
passages clefs de la BCO ou
des Commentaires, comme quand
Hayt rencontra Muad’Dib : « L’esprit purifié prend des décisions en
présence d’inconnus et sans cause ni effet ». Le dicton dérive d’un
commentaire du Bodhisat 73:9 :
« Lorsque vous tombez dans une rivière, alors que vous tentez de retrouver
pied, est-ce que vous vous demandez si vous êtes tombé de la berge ou si vous
avez été poussé par un ami ? » Les réponses de Koan étaient rappelées
par le ghola lorsqu’il suggérait à Muad’Dib que la puissance infinie pouvait
être contemplée dans le confort, seulement en se souvenant que toutes les choses
sont finies. Une autres fois, le ghola avait dit à Paul « Nous, les
zensunni, disons : « ‘absence de rassemblement est le
rassemblement final » ; Ohashi XII: 12 ». Après que Muad’Dib
soit parti dans le désert, aveugle, le ghola partagea avec Stilgar un moment de
véritable compréhension zensunni : « Il ne sera pas trouvé », et
Stilgar dit : « Pourtant tous les hommes le trouveront ».
Les
explorations de Muad’Dib, dans sa vie intérieure, étaient tout à fait dans
l’esprit zensunni. Son souci constant de « voir dans sa nature »
rappelle le Hui-neng 5, mais
comme beaucoup de zensunni, il ne pouvait pas regarder au-delà de lui-même (ou
dans le cas de Paul, au-delà des sub-personnalités) pour trouver le divin, le
joyau dans le lotus. « Trouver Bouddha dans votre propre cœur, dont le
caractère essentiel est Bouddha lui-même », enseigne Eisai 11:6, mais
Muad’Dib a tellement cherché qu’il n’a rien trouvé.
Après
être devenu le Prêcheur, Paul chercha à réveiller les fremen retombés dans leur
héritage zensuni. A Arrakeen, il proclama : « la seule activité des
fremen devrait être celle d’ouvrir leur âme aux enseignements
intérieurs ». Cependant, durant ses années dans le désert, Paul semblait
être lui-même retourné vers le navachristianisme, et même un style judéo-islamique
de pensée. Les modèles de pensée zensunni n’avaient, en aucun cas, été éliminé,
comme on peut le voir quand lors de sa première apparition au Temple d’Alia, il
s’écria : « La religion de Muad’Dib n’est pas Muad’Dib »
(cf. : « Le doigt qui montre la lune n’est pas la lune
elle-même » [sutra 124]).
Lors
de la première apparition spectaculaire devant le Temple d’Alia, Paul exhiba
une main humaine momifiée par le désert et la présenta comme une source
d’information. Certains considéraient la relique comme la rencontre finale avec
un ver des sables, une telle marque était universellement considérée comme la
communication avec shai-hulud. Ainsi, Paul confirmait sa prétention à être un
messager de Dieu en s’appuyant sur les textes de la Bible Catholique Orange, « j’apporte la main de dieu,
et c’est tout ce que je vous apporte ! » Criait-il. « Je parle
pour la main de dieu. Je suis le Prêcheur ». Le titre de
« Prêcheur » fait référence, bien sûr, à l’auteur du texte du même nom,
traditionnellement identifié à Salomon, l’homme le plus sage du passé et donc
considéré comme un titre très adapté pour l’Empereur Paul Atréides. La main de
dieu authentifiait comme témoin le Prêcheur via un texte plus obscur dans Job:11 : « Je vais vous
enseigner par la main de Dieu : ceux qui sont avec le Tout-Puissant, ne
vous cachez pas ».
Les
discours du Prêcheur étaient non seulement pleins de textes bibliques, mais ils
évoquaient aussi la rhétorique biblique. Les thèmes prophétiques étaient forts
dans « Ainsi il est écrit ! Ceux qui prient pour la rosée au bord du
désert produiront le déluge ! Ils n’échapperont pas à leur destin par le
biais des pouvoirs de la raison ! La raison découle de la fierté par
laquelle un homme peut ne pas savoir quand il fait le mal ». La formule
« ainsi il est écrit » se retrouve plusieurs fois dans l’Evangile, mais le texte cité est
introuvable dans l’ouvrage ni même dans d’autres ouvrages, même après de
savantes recherches approfondies. Sans doute faisait-il partie, autrefois, d’un
texte connu des fremen et qui fut placé, à titre d’essai, soit dans la moitié légendaire
du Sha-Nama, le premier livre
des vagabonds zensunni, soit dans un texte secret de la vieille religion
fremen. Le sermon était adressé particulièrement aux oreilles de la prêtrise de
Muad’Dib, « Ceux qui pratiquent l’œcuménisme de l’épée » ; et on
se souvient de l’Evangile XXXVL52, « Tous ceux qui prennent l’épée
périront par l’épée », qui se trouve étroitement lié aux mots sévères du
Prêcheur « Ceux qui apprennent trop bien la leçon de l’aveuglement
périront par cette tromperie ». Dans ce sermon, en plus, le Prêcheur se
réfère à « l’illusion Maya » et répète presque les mots des Commentaires en expliquant que
« Ces pensées n’ont aucune réalité indépendante.
Pendant
un temps Paul, comme Prêcheur, semblait avoir joué le rôle d’un Jérémie ou d’un
Elijah, exposant la corruption régnant en haut lieu, disant la vérité au
pouvoir et proférant des avertissements prophétiques sur les conséquences désastreuses
de cette pratique effectuée à mauvais escient au nom de Muad’Dib. Si c’est
ainsi qu’il se voyait, ce n’est pas ainsi que Leto le voyait. On raconte que
Leto associait la mort de l’historique Jean-Baptiste (Evangile IV) à la pseudo-mort de son père et qu’il enferma
cette vision clé dans la vision prophétique de son père. « Pauvre
Jean-Baptiste », pensait Leto, « S’il avait seulement eu du courage
d’une autre manière… Mais peut-être son choix était-il le plus courageux.
Comment puis-je savoir quelles alternatives il avait en face de lui ? Bien
que je sache quelles alternatives avait mon père ». C’est pour sortir de
la voie djihadiste cruelle tracée par l’empire de Muad’Dib que Leto choisit
pour lui-même le terrible Sentier d’Or. Cette décision exigeait que Paul
Muad’Dib, qui avait imposé sa volonté sur des millions de mondes dans l’empire,
se soumette lui-même à la volonté de son fils Leto, le futur Empereur-Dieu. La
passation de pouvoirs eut lieu au cours de la grande rencontre de Leto, qui
avait déjà revêtu la peau des truites des sables, et de son père dans le
désert, où là eut lieu un duel dans lequel les armes étaient des visions qui
changeaient le destin. Leto vit plus loin, jusqu’à Krazilec, le combat typhon,
la grande bataille aux confins de l’univers, connue dans la BCO (Révélation) comme l’Armageddon, et donc Leto l’emporta sur
son père.
Lorsque
le Prêcheur se porta garant de l’intégrité de Leto (qu’il n’était pas une
Abomination) avant Gurney Halleck, il avait déjà accepté sa fonction de
Jean-Baptiste, comme il le montre par ces mots : « Une fois je me
suis opposé à lui, mais maintenant je vous fais son offre. Il est le
Guérisseur ». Il rendit ce rôle effectif par son sermon final au Temple
d’Alia. Ce sermon est plein de rappels aux textes et aux applications bibliques
sur la situation sur Arrakis.
Le
Prêcheur commença son sermon en associant le désert de Zan, la première station
des vagabonds zensunni, au désert de l’exode où les israélites (ces anciens
habitants du désert fremen) furent testés plus de 40 ans. « Je me suis
retrouvé dans le désert de Zan », cria le Prêcheur (voir Ohashi IV-VII), « dans les
déchets de la nature sauvage [Lois
XXX:10]. Et Dieu m’a commandé de rendre cet endroit propre [cf. Lois XVIII:25-30]. Car nous avons
été provoqué dans le désert, et nous avons été affligé dans le désert, et nous
avons été tenté, dans cette région sauvage, d’abandonner nos manières » (Psaumes XCV:8-10). Par ses
allusions, le Prêcheur retenait non seulement l’attention de ses auditeurs
fremen, mais il authentifiait aussi ses paroles car elles étaient issues des
plus anciennes sources prophétiques. Les mots eux-mêmes mettaient au défi les
fremen d’une accusation d’apostasie et remuaient tous les auditeurs par leurs
références à peine voilées aux destructions des qanats. Une de ses auditrices
était Alia elle-même, elle saisit l’allusion à Zan et se demanda si le Prêcheur
prenait à son compte les destructions des forteresses des sietchs des tribus
fidèles.
Sa
voix grondant à travers la Plaza, le Prêcheur continua en faisant des
associations avec des anciens mots prophétiques. « Les bêtes sauvages se
trouvent sur vos terres », dit-il. « Les créatures lugubres
remplissent vos maisons [Prophètes V:21].
Vous qui avez fui vos maisons, vous ne multipliez plus jours sur le sable. Oui,
vous avez abandonné nos manières, vous mourez dans un nid encrassé si vous
continuez sur cette voie [Job XIX:18 ;
note : le « nid original » est devenu un « nid
encrassé »]. Mais si vous tenez compte de mon avertissement, le seigneur
vous conduira sur une terre de puits dans les montagnes de Dieu. Oui,
shai-hulud vous conduira » [Prophètes
LII:6-7].
Le
Prêcheur fit encore appel à la mystique fremen en citant le Psaume LXIII:1, un texte utilisé
pour chanter l’hymne quotidien de l’eau : « O Dieu, mon corps langui
Votre chemin sur une terre sèche et assoiffée ! » Ce texte incita une
vieille femme fremen à répondre : « Aide-nous Muad’Dib.
Aide-nous ! » à laquelle le Prêcheur répondit en levant sa main
droite (en signe de bénédiction) au-dessus de sa tête : « Vous [les
fremen] êtes la seule aide restante ! Vous étiez des rebelles. Vous avez
apporté le vent sec qui ne nettoie pas et ne refroidit pas [Prophètes LIV:11-17]. Vous portez
le fardeau de notre désert et le tourbillon vient de cet endroit, de cette
terrible terre [Prophètes CXIII:5 :
« J’ai été dans cette région sauvage, la terre de la grande
sècheresse »]. L’eau des qanats brisés s’écoule sur le sable. Des cours
d’eau traversent la terre [Prophètes
XXV:6 : « Dans le désert les eaux jailliront et des ruisseaux
traverseront le désert »]. De l’eau est tombée du ciel dans la ceinture de
Dune ! [cf. Lois XI:11 :
« La terre… qui boit l’eau de la pluie du ciel »]. O mes amis, Dieu
m’a commandé. Faites une route toute droite dans le désert pour notre Seigneur,
car je suis la voix qui s’approche de lui dans le désert [Prophètes XXX:3 : ce texte est en relation avec l’Evangile 111:3 qui montre le
Prêcheur endossant la mission de Jean-Baptiste] ».
Rappelant
un passage similaire des Prophètes V:20,
le Prêcheur indique les étapes à suivre en disant : « Il n’y a aucune
djedida perdue qui ne peut plus être habitée ! Ici nous avons mangé le
pain du ciel [Psaumes CV:40]
et ici, le bruit des étrangers nous pousse hors de nos maisons ! [Cf. Prophètes XV:5: « Vous
ferez cesser le bruit des étrangers »]. Ils élèvent pour nous une
désolation, une terre où personne ne demeure, où aucun homme ne passe [Prophètes XV:2]. »
Maintenant, les prêtres d’Alia se frayaient un chemin à travers la foule pour
arrêter le Prêcheur, mais il eut encore le temps d’évoquer le passage des Prophètes XXV:1, en disant :
« Voici notre désert qui pourrait fleurir et s’épanouir », et Job XIV:5, en ajoutant :
« Contemplez-les comme ils vont à
leur mauvais travail », et enfin la Révélation
XIII:1, soigneusement mal citée : « Il est écrit :
« Et je me tenais sur le sable, et je vis une bête sortir de ce sable, et
sur la tête de cette bête était écrit le nom de Dieu ! » En fait, le
texte indique que ce qui était écrit était « le nom de blasphème ». Le
Prêcheur retint ses mots délibérément et de façon spectaculaire, tandis que des
murmures de colère passaient dans la foule et que les poings se levaient et
s’agitaient. Puis il termina sa phrase en se tournant et en rivant ses yeux
aveugles vers le Temple, et en levant une main (la main gauche du mal,
certainement) pour pointer la fenêtre
d’où regardait Alia. « Un blasphème reste », cria-t-il.
« Blasphème ! Et le nom de ce blasphème est Alia ! » Ce
furent les dernières paroles du Prêcheur, et elles condamnaient sa sœur, la
vierge-prostituée de la Révélation
XVII, de l’exécution de Leto.
Paul
et son fils Leto étaient des manipulateurs extrêmement habiles pour ce que Leto nommait « la
mystique dominante ». Une façon de le montrer est l’utilisation qu’ils
faisaient du symbolisme de la gauche et de la droite. Les fremen n’étaient à
l’aise que dans les extrêmes, ils étaient mal à l’aise en présence
d’ambivalences et d’ambiguïtés. Les actes et les pensées étaient bons ou
mauvais ; ils venaient soit de la main gauche des damnés, soit de la main
droite des bénis. Cette association remonte à, ou plutôt se reflète dans l’Evangile XXXV, où les moutons
sont mis du côté droit du Roi, mais les chèvres du côté gauche. Ainsi, lorsque
Paul Muad’Dib se tint au sanctuaire de la Roche qui entourait le crâne de son
père il cita mot pour mot le « legs de Bomoko », il mit sa main
droite sur la châsse afin de montrer d’abord que son père était l’un des bénis
et deuxièmement, que les mots qu’il était sur le point de dire venaient d’un
béni. Ce geste montre quelque chose du respect avec lequel il considérait le
Président de la CTŒ, responsable de la BCO. Cependant, lorsque Paul et Leto
eurent leur célèbre confrontation dans le désert, Leto accusa son père de ne
pas avoir étendu sa vision assez loin : « Vos mains ont fait de
bonnes choses et le mal », avait-il dit. Leto lui-même, toujours sensible
aux positions relatives de menace ou de soutien aux gens par rapport à lui-même
avait résumé l’assassin Namri à Jacurutu, pendant l’interrogatoire ; Namri
était entré dans la cellule et s’arrêta un demi pas à la gauche de Gurney
Halleck. « Ahhh, la main gauche des damnés », avait dit Leto. M.T.
Autres références :
- Bible Catholique Orange, La ;
- Atréides, Paul ;
- Anonyme, Les Evangiles de Dune, Rakis ref. cat. 1-T2 ;
- Qizara Tafwid, Les piliers de la sagesse (Salusa Secundus : Morgan et Sharak) ;
- Une étude approfondie de la BCO et des Commentaires peut être observée pleinement dans les énonciations faites par la Princesse Irulan sur Muad’Dib (Mukan : Lothar), Muad’Dib : les questions religieuses, Lib. Conf. Temp. Série 133, et La sagesse de Muad’Dib, études Arrakis 52 (Grumman : les mondes unis).
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