jeudi 7 juillet 2016

Impériale, Poésie



Impériale, Poésie
  Aucune période de l’histoire de la littérature ne fut plus faste pour ses réalisations, que les quatre siècles qui suivirent le début du onzième millénaire. Loin du jaillissement des tiges de fleurs sauvages – une métaphore qui illustre bien la première moitié de cette période – les gloires de la seconde moitié étaient comme un jardin plein de fleurs artificielles transplantées et entretenues avec soin. Comme l’indique la métaphore, la période peut se scinder en deux moitiés, la première couvrant les deux siècles de la fin du règne de la Maison Corrino, et la seconde, le début du règne des Atréides.

La période Corrino
  Dans la première période, le galach avait tenu une place prépondérante incontestée comme langue de la culture et des arts ; c’était la langue officielle de l’Impérium et la langue maternelle de milliards de locuteurs sur les mondes sédentarisés. Elle était étudiée comme seconde langue dans des milliers d’écoles, c’était la langue du droit et des militaires et la voie vers le progrès politique et social. Bien que chaque planète ait eu ses formes poétiques et narratives uniques et traditionnelles, le galach pouvait aisément s’adapter pour utiliser ces formes et, des milliers d’années avant la chute des Corrino, la littérature de nombreux mondes se dota d’œuvres estampillées du caractère de la Société Planétaire, encore écrites dans une langue comprise dans tout l’Empire. En conséquence, la littérature en Galach, sous le règne des Corrino, eut tendance à se diffuser sous une forme maniérée et était marquée par une vigueur véhiculée par une langue cosmopolite.
  Mais cette littérature, en particulier sous sa forme lyrique, montra des changements qui furent notés en 10100. Comme si, en réponse à une prescience de changement de l'ordre universel, la littérature en  Galach avait atteint des sommets au cours des générations suivantes, rarement égalés auparavant. Beaucoup de travaux connus à cette époque, expriment un sentiment d’appréhension, de malaise, d’anticipation, ou au moins, un sentiment de nouveau commencement cosmique. Un des textes les plus célèbres du temps est Le tremblement de terre[1], écrit par le poète Henoor Sentraks (10035-10163) de la cour des Corrino vers la fin de sa vie, après qu'une légère secousse ait été ressentie à la Cour de Kaitain en 10159. Comme un présage, le tremblement de terre, rare sur un monde géologiquement stable comme Kaitain, suscita beaucoup d’anxiété populaire. On note le sens d’une nouvelle création, exprimée dans les lignes finales. « Romalina » fut la zone de villégiature, près du Capitole, dans laquelle Sentraks vécut et donna des cours de poésie aux courtisans en villégiature.

C’est en Romalina que j’ai trouvé
De première main, ma connaissance qui pourrait ébranler la terre
Comme un chien qui sèche. Il semblait que le séisme,
Ou tremblement, plutôt, ait commencé comme un son

Comme si un millier de coureurs martelaient la terre
Des cliquetis à l’unisson. L’erreur folle
Des strates anciennes qui font une pause
Sur la surface saine et les ralentis d’une montre dénouée par un môme

En dehors du Palais, une chambre posée sur une parcelle de gravier
Avec des pierres entassées sur une rangée droite, alignée
Qui était invisible à la vue
A la fin de la classe, j’ai arrêté mon travail et si
J’ai vu, comme celui qui a vu la création le sait
Les pierres, comme la terre primitive, se répandre, plate et nouvelles.

  Un second exemple des avertissements furibonds du changement que les poètes – intuitifs à leur culture – ressentaient, proviennent des œuvres de Dwaidr Kauznet (10110-10170). Kauznet, dont la poésie ne fut pas publiée de son vivant, était un officier subalterne qui vieillit sur Illerdan, un fief  de la Maison Kaastaar et servit en garnison sur Lodengorod. Il fut l’un des hommes les plus honnêtes qui servirent dans les rangs de ces monstres de perversion. Son poème, 93[2], évoque des questions auxquelles on ne peut pas répondre car elles ne peuvent pas être précisément posées. Ces questions ne peuvent pas être en contradiction avec la condition de Kauznet dans l’armée d’Illerdan (déterminée par le système inflexible des Faufreluches), parce que ce dilemme – ce qu’un honnête homme peut faire dans un mauvais système – était clair pour Kauznet, même si sa réponse était un non.

93
Avec le rang et la renommée et tout le meilleur confort
Une hache frappe et abat mes côtes d’arbres ;
Les sons profonds frappent doucement dans un coffre d’os liés
Son contenu caché remue, les clefs sont perdues.

Il y a une question manquante sur le test
Et pourtant, la réponse devrait jaillir avec facilité
Pour le cerveau abasourdi, j’ai tordu et pressé
J’ai déchiffré les entrailles creuses et les genoux tremblants.

Et j’affronte le destin dans le jeu d’échec
Avec le dernier pion, je me perds dans la fin des âges.
De la vie, et tous mes jours et mes nuits, je poursuis ma quête
La pièce manquante paie les taxes inconnues.

Mais les clefs du test et le pion pointent vers un espace
Partiellement entaillé dans cet homme, plein de grâce.

  Les tensions augmentèrent entre les maisons Kaastaar et Atréides, Illerdan devint le centre de concentration et les caladaniens s’infiltrèrent dans les garnisons, sondant les faiblesses. Kauznet, encore officier subalterne à soixante ans, semblait être une cible probable, mais les espions ne trouvèrent que les poèmes qu’il avait écrit. Les poèmes furent copiés et transmis au renseignement sur Caladan pour inspection. Le Bureau ne trouva aucune utilité militaire, et le dossier passa de main en main comme une curiosité, jusqu’à ce qu’il retienne l’attention du jeune na-Baron Leto. Dire qu’il trouva les poèmes émouvants et inoubliables est un euphémisme, et officieusement, dans un premier temps, il commença à recueillir les copies du travail de Kauznet.
  Lors du lancement de la campagne d’Illerdan, Leto usa de son influence pour ordonner que Kauznet soit prit vivant si possible, mais Kauznet réunit les vestiges des kaastaariens autour de lui, alla dans les collines et mena une guérilla. Les premiers soupçons de Leto, sur le fait que Kauznet avait survécu, vinrent du style des ballades émanant de la résistance anti-caladanienne. Sans prise en charge, la résistance était sans espoir et fut bientôt éradiquée. Leto ne vit jamais Kauznet vivant.
  Durant près de 5.000 ans les chercheurs émirent l’hypothèse que la personne de L.A., qui veillait sur l’art de Kauznet, n’était pas morte avec lui. Avec la traduction des documents trouvés lors de la Découverte de Rakis, nous connaissons désormais la réponse – Leto Atréides.
  Le dernier poète de la Cour des Corrino fut Imelda Vizhyarad (10182-10239) qui suivit Shaddam IV dans son exil sur Salusa Secundus. Son œuvre montre une obsession croissante pour le destin inéluctable, en particulier en ce qui concernait Shaddam et son compagnon, le Comte Hasimir Fenring. Dans sa jeunesse, Fenring aimait la mer : c’était un subtile marin (et un merveilleux athléte, habile dans de nombreuses disciplines) et il fut surnommé le « Maître du vent ». Le poème de Vizhyarad qui suit[3] tire son nom de Fenring et de son apparence dans les dernières années de sa vie, après la mort de Shaddam. Au cours de ces années,il se replia de plus en plus sur lui-même, il passait chaque jour sur la plage, à l’abri du soleil sous la coque en ruine de son ancien bateau de course.

Le Maître du vent
Cet habitant des murs de mer
Rêve sous sa coquille en décomposition.
Médite une prophétie de la peur.

Il rêve d’une grande perte, une longue année
Des champs lointains où les héros étaient tombés
Cet habitant des murs de mer

Il rêve de celui[4] qui balaie une sécheresse
Du monde, dont la vue du désert et le charme du démon
Médite une prophétie de la peur

Il rêve d’un enfant qui sculpte un de ses pairs[5]
Il entend le glas du péage mental du neveu[6]
Cet habitant des murs de la mer

Il rêve d’héritier-fantôme, jamais à proximité[7]
Alors que sa mère, portant l’enfer magique[8]
Médite une prophétie de la peur.

Il rêve d’étoiles qui marquent la voie pour diriger
Son navire dirige maintenant également sa vie ;
Cet habitant des murs de la mer
Médite une prophétie de la peur.

  Les réalisations du Premier Ministre de la poésie galach de 10000 à 10200 étaient lyriques et, comme nous l’avons vu, souvent marquées par une note d’avertissement. Evidemment, la poésie ne cessa pas d’être écrite en galach lorsque les Atréides accédèrent au pouvoir, malgré les changements de goût dans la forme et la langue, qui se produisirent. Comme le montre le dernier exemple, la poésie galach perdura, mais sur les mondes centraux un ton élégiaque fut adopté pour exprimer des émotions douces et sombres.

La période Atréides
  La prise du trône par Paul Atréides en 10196 marqua le plus grand changement que l’Empire ait connu depuis une centaine de siècles. L’ampleur de cette perturbation mena inévitablement à des changements dans les arts, mais la nouvelle Maison n’eut aucun impact sur la poésie avant plusieurs décennies. Les bouleversements, tant physiques que spirituels, causés par le jihad de Paul furent inimaginable : la Maison Corrino régnait depuis si longtemps que son  existence avait prit le statut de loi naturelle. La chute de Shaddam choqua certains des plus grands écrivains, qui se murèrent dans un silence dont ils ne se remirent jamais. Pour cette raison, peu de poètes eurent une carrière productive durant les deux premières dynasties.
  Les écrivains de l’époque des Atréides étaient nouveaux, ainsi que la forme qu’ils utilisaient et leur langue.
  L’Imperium de Muad’Dib avait fortement concentré les pouvoirs politiques et économiques. Le centre de l’Empire était fixé sur Arrakis avec une solidité que Kaitain n’avait jamais connue. Les créateurs de la culture avaient afflué sur Arrakis, ornant ainsi la planète-capitale avec un choix de talents venants des mondes habités. Pourtant, Arrakis était à bien des égards, un endroit beaucoup plus provincial que l’univers qu’avaient quitté ces artistes et poètes. Considérant que le galach était la langue de convenance sous les Corrino, le fremen fut la langue de Dieu sous les Atréides. Par ailleurs, les goûts fremen, qui faisait maintenant l’essentiel du public en ce qui concernait la culture, était différent. Les fremen préféraient, en général, l’histoire à la fiction et l’auditoire pour cette culture était différent. Ils préféraient l’histoire à la fiction, en général, et en particulier, ils préféraient l’épopée à la poésie lyrique, le drame à la narration (beaucoup étaient analphabètes), et la fable morale à la comédie réaliste. La littérature avait été diffusée sur les nombreuses planètes, mais celle des fremen se concentrait sur Arrakis ; la poésie galach, décontractée et maniérée donna naissance à la poésie fremen, strictement traditionnelle, à la fois dans la mesure et dans la forme. Et enfin, la vigueur dans la poésie galach tira ses racines sur de nombreuses planètes, fut remplacée dans les versets fremen par une intellection intense ; ce dernier changement nécessite une explication.
  Les écrivains fremen qui auraient remplies les dunes les plus élevées de leurs œuvres, dispersèrent leur énergie à travers des milliers de mondes pour leur jihad. Beaucoup d’entre eux moururent au cours ce jihad ; beaucoup d’autres, qui avaient des dons artistiques, furent dirigés vers des carrières militaires, administratives ou judiciaires. Pourtant, la population d’Arrakis n’avait jamais été très importante, et le départ des légions fremen la diminua sensiblement. Ce vide permit l’apparition de tout un éventail de chasseurs de fortune, mais aussi d’écrivains venant de l’Empire, attirés par la richesse et le patronage que seule Arrakis pouvait alors offrir. La conclusion, surprenante et pourtant logique, de ces causes est le fait que, de tous les écrivains qui apportèrent un lustre à la littérature fremen entre 10200et10400 – l’âge d’or – pas un seul n’était né fremen. Par exemple, parmi les grands dramaturges de l’époque, Harq al-Harba né Aitu Cinoli sur Yorba ; Tonk Shaio naquit sur Aerarium IV ; Al-Mashrab, également poète occasionnel, tient son nom fremen du terme « La Vive » - qui fut progressivement remplacé par le nom qu’il avait reçu sur sa planète d’origine, Parlon, Sorni Camwold. Et la situation est la même avec les poètes de l’époque.
  Aucune esquisse, même brève, de la poésie de cette époque, ne serait complète sans mentionner Deeziir Astiki (10189-10250), qui occupa une position singulière parmi les premiers poètes Atréides. Il commença en 10214 comme fonctionnaire mineur sous la Régence d’Alia et fut le seul poète de son temps à avoir connu Leto II et Ghanima personnellement. Astiki avait ressenti une véritable affection pour les jumeaux qui grandissaient, il commença par ses Poèmes de naissance, deux volumes célébrant leur naissance. Un poème écrit pour Leto[9], évoque la vision du règne de l’Empereur, plus tard, mais que le poème d’Astiki montre une prémonition sur le futur Leto, ceci demeure une question ouverte.

Leto
Un enfant nouveau-né, témoignage de l’homme,
Se déplace dans la puissance des pouvoirs comme les nuages
En l’absence d’indication encore des formes futures,
Définit par les cloches qui sonnent dans l’esprit philosophique
Se faisant l’écho du mystère de la naissance dans les bas-fonds,
Le son, comme un radar, se réfléchissant sur l’enfant.

Une simplicité delphique entoure l’enfant,
Des oracles inédits préfigurant l’homme,
La culpabilité des actions s’entachent de mystère
De son irréprochable coup de corne comme des nuages suspendus –
Mais maintenant, au moment de la sonnerie des matines
Il ne menace pas ces formes sombres.

Mais comment éviter le destin qui façonne sa fin ?
Y a-t-il une innocence chez l’enfant,
Ou veut-il trouver dans le plomb et l’argent sonnant
Du temps qui fait progresser la maturité
Que l’absence de culpabilité qui brillait dans les nuages en fuite
La gloire était une fraude et tuer un mystère ?

Expliquer est la seule mort du mystère,
Mais qui explique ? L’artisan, des formes de dessin
De l’argile ? Le timonier dans les nuages nébuleux ?
Car qui a trouvé le moyen de dire à l’enfant
Le bon et le mauvais qui seuls définissent un homme,
Dans des mots qui ne feront pas sonner ses oreilles ?

Trop tôt, il va voir le loup-pensée sonner
Lui déchirant, lacérant quoi ? Un mystère ?
L’extrayant loin jusqu’à ce que tout ce qui reste soit l’homme.
Le paradis est perdu, mais dans les formes d’or
Qui remuent parfois, on voit l’enfant,
Et parfois on entrevoit notre avenir dans les nuages.

  Certains étudiants travaillant sur l’œuvre d’Atiki, firent valoir que sa poésie, après 10240 faisait allusion à un changement dans son attitude envers Leto. Certes, ses poèmes ultérieurs furent beaucoup plus libres et leur forme expérimentale, notamment par rapport à une œuvre de jeunesse comme Leto, qui suit exactement la forme ancienne appelée sextine. Son dernier poème, Martyrs[10], peut refléter ses sentiments au sujet de Leto, mais en l’absence d’une corroboration sure, une déclaration définitive sur sa signification, serait risquée.

Martyrs
Les martyrs ont des utilités, mais pour Dieu seul
La relation utilitaire à l’homme est perdue
Pour les martyrs les cadavres qui se sont levés
Viennent des cimetières de nos sensibilités.

Si les yeux enveloppés du film du pouvoir
Pouvez voir le ridicule de leur attitude
En opposition à une volonté de feu
Ils reconnaitraient que leur combat est perdu
Dans les reines d’une génération dont la fécondité est passée
Mais néanmoins, ils revêtiraient leurs costumes habituels
Comme refuges de la chute de la montagne du Divin.

Les martyrs ont toujours été et n’auront jamais besoin d’être,
Mais ce n’est guère réconfortant quand ils meurent
Que la bouche de l’enfer est chaude au milieu de ses lèvres qui lèchent
Quand le plaisir de baver est du goût de l’oppresseur.

Avec cette œuvre énigmatique, Astiki termina sa carrière et avec lui mourut le dernier lien poétique de l’époque d’avant le règne de Leto II. Les poètes qui lui succédèrent formaient une nouvelle génération qui poursuivit l’âge d’or de la littérature Atréides-Fremen, du point de vue de ceux qui regardaient en arrière, et qui n’étaient pas assistés, les événements étaient imbriqués dans leur temps. W.E.M.

Autres références :
-          Fremen, La poésie
-          Harq al-Harba ;
-          O.B. Pithiviers, Une histoire de la littérature Atréides (Grumman : Hartley UP).


[1] Henoor Sentraks, Paroles, TR Mauzan Gwidin (Grumman : Hartley UP), p. 306.
[2] Dwaidr Kauznet, Poésies Posthumes, édité en son honneur par L.A., tr. Tuubat Better (Orig. Pub Caladan. Rep. Kaitain : Varna), p. 127.
[3] Imelda Vizhyarad, Branches stériles : Œuvre tardive, éd. Aubergine m’Soca (Salusa Secundus : Gravlak) p. 66.
[4] Paul Atréides
[5] La mort du Baron Harkonnen des mains d’Alia enfant.
[6] Thufir Hawat, selon la tradition populaire était un traitre aux Atréides. Il était censé avoir mit en garde Feyd-Rautha contre Paul. En intégrant cette légende, Vizhyarad montre qu’elle n’était pas présente lors de cette scène importante, mais nous savons maintenant que Hawat se suicida peu avant que le défi ne soit lancé.
[7] Fenring était impuissant, incapable d’engendrer des héritiers.
[8] Cette ligne est la plus obscure de tout le travail de Vizhyarad. Il fut suggéré que la mère de Fenring était la Révérende Mère Gaius Helen Mohiam, et si cette conjecture est exacte, alors l’enfer magique doit faire référence à la boîte d’induction neuronale qu’elle portait avec le Gom Jabbar. Dans tous les cas, Fenring aurait eu une expérience de persona avec le test du gom jabbar.
[9] Deeziir Astiki, Poésie occasionnelle, éd et TR O.B. Pithiviers, Etude de l’Histoire des Atréides (paseo : institut de culture galacto-fremen), p. 145.
[10] Idem, Œuvres tardives, éd. Et TR O.B. Pithiviers, Etude de l’histoire des Atréides, 87 (Paseo : Institut de culture Galacto-fremen), p. 289.

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