ARRAKEEN,
La serre d’
Quand elle explora le vieux manoir, siège du gouvernement d’Arrakeen,
Dame Jessica découvrit une serre humide cachée derrière un sas, dont la porte
d’entrée extérieure, de forme ovale, était munie d’une serrure à main. Cette
chambre, d’une dizaine de mètres carrés, ne faisait pas partie de la
construction originelle du bâtiment, elle fut ajoutée sur le toit comme cadeau
nuptial de Tsimpo, l’un des premiers gouverneurs d’Arrakis, à sa quatrième
épouse, Hawtina, native de la planète océan Humidis. Un verre filtrant avait
été utilisé pour convertir la lumière blanche, violente, du soleil d’Arrakis en
une lumière jaune, plus douce. Chaque espace disponible dans la salle était
remplit de plantes exotiques de climat humide, la plupart des variétés naines
étaient conservés en pots ou sévèrement élagués. Les plantes incluaient un
mimosa ; un cognassier fleuri ; des cyprès et des cèdres nains ;
une sondagi, la tulipe-fougère de Tupali ; une pleniscenta verte fleurie,
cultivée pour sa riche fragrance ; une akarso rayée vert et blanc, de
Sikun ; de fausses orchidées ; un kowhai doré ; un
bois-brouillard d’Ecaz ; des mousses géantes et des aspidistras à feuilles
latifoliées. Par-dessus tout, il y avait de fabuleuses variétés de roses
blanches, bleues et panachées. Au centre de la pièce se trouvait une petite
fontaine basse à bords cannelés. L’eau était distribuée aux fougères et aux
arbres à caoutchouc assoiffés à l’aide d’un simple servok à mouvement
d’horlogerie munit d’un tuyau et d’un bras d’arrosage. Un robot broyeur et
élagueur, plus élaboré et en dehors des limites imposées par le Jihad
Butlérien, effectuait les tâches automatiques de jardinage ; il était
programmé pour rester caché dans le mur quand des humains étaient présents.
Margot, Dame Fenring, qui avait précédé Dame Jessica comme châtelaine, avait
laissé un message d’avertissement à sa sœur Bene Gesserit dans cette chambre
privée. Jessica découvrit une note rédigée de manière énigmatique qui la mena à
un message caché écrit sur la face inférieure d’une pale de ventilateur
surplombant la table. L’avertissement fut trouvé trop tard pour empêcher
l’attaque de Paul par un chercheur-tueur, mais la fontaine fut utile pour
court-circuiter le moteur de l’engin mortel.
La fonction de la serre humide était de servir de refuge pour les
épouses des gouverneurs nostalgiques, sur cette planète désertique, un jardin
de plaisirs suprêmement luxueux, qui était, pour la Maison Atréides, moins
important que sa signification politique. Sur une planète où les indigènes
rejetaient les palmiers-dattiers à cause de la quantité d’eau qu’ils
consommaient, l’idée d’une pièce étanche dans laquelle la quantité d’eau
gaspillée pour des plantes exotiques pouvait subvenir aux besoins d’un millier
de personnes, était un anathème. La serre
fut surnommée, par les fremen « la chambre étrange » – où
n’allaient que les sorcières - et il est connu que la gouvernante du palais, la
Shadout Mapes, considérait cette chambre avec dégout. Le gaspillage d’eau
délibéré était une marque de statut, une déclaration de puissance et de
richesse du gouvernement impérial. Le Duc Leto mis fin à cette coutume
extrêmement humiliante où l’eau, lors des dîners gouvernementaux, débordait,
mais lorsque le convoyeur d’eau Lingar Bewt le défia d’étendre le principe à la
serre, Dame Jessica intervint avec une réponse qui fit forte impression sur le
planétoloque Liet-Kynes. Bewt avait dit : « Je suis curieux de savoir
à qui vous destinez la serre attachée à cette maison. Avez-vous l’intention de
l’afficher aux yeux de tous… Monseigneur ? » Jessica avait
répondu : « Monseigneur le Duc et moi, avons d’autres plans pour
notre serre. Nous avons l’intention de la garder, certes, mais avec l’aval du
peuple d’Arrakis. C’est notre rêve qu’un jour le climat d’Arrakis pourra être
changé suffisamment pour cultiver de telles plantes n’importe où en plein
air ». Cette réponse raisonnait si bien avec le rêve le plus précieux de
Liet-Kynes, la transformation graduelle de la planète désertique en un paradis
où l’eau coulait, qu’il lui demanda directement si elle amenait « court
chemin ». La réponse de Jessica changea complétement l’attitude de ce
fremen influent vis-à-vis du gouvernement Atréides.
Sans le message laissé par Dame Margot Fenring à Dame Jessica, il y avait
un avertissement profond, une leçon transmise par la
serre : « La proximité d’une chose désirée est une tentation
menant à trop d’indulgence. Là se trouve le danger ». Liet-Kynes avait dit
quelque chose de similaire à Jessica : « Rappelez-vous que la
croissance elle-même peut produire des conditions défavorables si elles ne sont
pas traitées avec un soin extrême ». Les fremen convoitaient avidement
l’eau : pour le dire brutalement, ils s’étaient fourvoyés dans le rêve
écologique de Liet-Kynes et son accomplissement par Paul Muad’Dib, ils
n’avaient pas compris le danger que représentait, pour eux, un accomplissement
si rapide de ce rêve. Par conséquent, ils virent leur culture détruite. Les
instruments de ce génocide résidaient dans la serre humide de Jessica.
La crainte fremen à l’idée de reproduire les conditions de la serre sur
la planète entière, apparut brusquement après que Paul et Jessica emménagèrent
dans le palais d’Arrakeen. Jessica était allé dans la « chambre
étrange » et Paul avait expliqué à Stilgar « qu’elle se languissait
d’une planète qu’elle ne reverrait peut-être jamais… où l’eau tombait du ciel
et où les plantes poussaient si drues qu’on ne pouvait marcher entre
elles ». La réponse respectueuse de Stilgar montra à Paul combien il était
devenu une créature du Lisan-al-Gaib, le Donneur d’Eau. Stilgar fut ainsi
diminué. Il était aussi le présagedu Jihad qui enverrait les fremen hors de
leur planète pour voir de leurs yeux des rivières, des lacs, des océans et des
jungles, et ensuite chercher à les reproduire sur Dune.
Après les années du Jihad, Paul contemplait au clair de lune à Arrakeen
un jardin clos avec son étang à poissons, ses arbres-sentinelles, leurs larges
feuilles, les feuillages humide, lorsqu’il vit, momentanément le jardin, à
travers les yeux d’un fremen : il était étrangement menaçant, dangereux
dans son utilisation de l’eau. Il est noté qu’il pensa ensuite aux convoyeurs
d’eau, dont il avait détruit l’univers prodigue de ses mains, qu’ils le
détestaient parce qu’il avait tué leur passé. D’autres le détestaient pour
avoir changé les vieilles coutumes. La présomption de Muad’Dib à transformer
une planète entière avait encore des implications plus vastes. L’univers
continuerait à haïr le nom des Atréides, bien après que la planète soit devenue
une immense serre, bien après que son statut de planète détestée et convoitée,
non pour son eau, mais pour son épice, issue du désert, et de la puissance
qu’elle symbolisait.
Autres références :
-
Arrakis ;
-
Kynes,
Pardot ;
-
Atréides,
Dame Jessica, Les années sur Arrakis,
tr. Zhaiv Aultan (Caladan : Apex)
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